Dès le début j'ai su que j'allais être dépendant, j'idéalisais tellement la drogue que je n'avais plus que ça en tête, c'était il y a dix ans.
Elle a éveillé ma curiosité comme jamais, et j'ai retrouvé mon âme d'enfant s'émerveillant de tout et de rien en la fréquentant, j'étais passionné et complètement transcendé. Je me suis donc posé comme seul limite de ne pas me restreindre à cause de la drogue, d'être sous influence comme si j'étais sobre, en restant digne. Limite que je n'ai pas toujours tenu, mais qui m'a permit de toujours réfléchir sur mes positions, sur mes décisions, pour me rendre compte qu'en fait je n'avais aucune position puisque je traversais l'espace temps sans but, en équilibre sur un fil précaire, d'où un état d'esprit constamment instable, animé de doutes et de convictions toujours plus forts que je pénétrais mon esprit au travers de désillusion et d'illusion elles aussi toujours plus grandes.
A ce niveau là je prenais des trips comme on boirait un bon chocolat chaud pour se redonner du baume au cœur, et plus je consommais, plus je repoussais les limites, en réduisant les temps de récupération entre les trips, et avec des doses de plus en plus importantes. Et plus je découvrais les secrets cachés de l'univers, de mon ego infini, plus j'idéalisais la drogue en me voilant la face, croyant avoir en ma position des poudres de vérité, et non pas des drogues. J'étais par delà bien et mal, gravitant loin de la réalité dans des univers parallèles, et même devoir uriner et manger chaque jours en venait à me lasser tellement j'étais déprimé d'avoir franchi autant de cap d'esprit, de point de vue métaphysique, d'avoir pénétré autant de porte dites de perception, et ressenti intuitivement le monde sans pouvoir l'expliquer. Je voulais être un esprit libre, affranchi de son corps douloureux et souffrant.
Je savais le pourquoi du comment, sans pouvoir expliquer le comment du pourquoi, j'étais paumé mais sur de savoir, jamais mon ego avait été si pompeux.
Un membre du forum qui était passé par là m'a mis en garde, me prévenant que j'allais me brûler les ailes, et naturellement je ne l'ai pas écouté, et je me suis rayé le casque.
A partir de là j'ai commencé à me rendre compte qu'il n'y avait en fait aucun choix, que je ne prenais aucune décision, et que si je me défonçais comme un connard, c'était par pur déterminisme parce que la drogue m’apportait ce qui me manquait. Elle était la solution aux problèmes que je me créais, mais je croyais que la drogue était le problème en ne réfléchissant pas au vrai problème : le fait de m'en créer (même si je m'en étais rendu compte, mais c'était plus simple de m'en prendre à la drogue, à l'objet du problème plutôt qu'à ses causes, faute d'en comprendre le sens). Mais cette vérité étant d'autant plus tragique, sans plus d'étayage et de supports spirituels sur lesquels m'appuyer, je ne pouvais que tomber dans les méandres de mon esprit "scientifique", égotique, dans mon nihilisme avide de pulsion d'auto-destruction, ce que je réussis parfaitement au détriment de mes études, de mes relations sociales et amoureuses, de ma vie de famille, de ma santé physique et psychique, bref j'étais tombé bien bas en consommant quotidiennement des doses pouvant assommer un cheval. J'ai toujours apprécié les combos peu recommandables, ceux qui font fricoter avec sa petite mort intérieure.
A partir de là à débuter ce que j'ai appelé ma réinsertion sociale.
Il a d'abord fallu surmonter ma paranoïa qui aurait pu m'envoyer en HP si je n'avais pas eu la chance d'avoir une certaine conscience réflexive, et un tempérament plutôt rationnel qu'émotionnel. La lutte a été longue, mais ma raison l'a emporté sur mes émotions, et j'ai survécu à moi-même, encore une fois au détriment d'amitié et de rapports sociaux cordiaux. J'étais en colère avec moi-même, donc j'en voulais à la terre entière. Une pratique sportive et de petites actions par-ci par là pour renouer avec le genre humain m'ont permit de dépasser mes hontes, travailler sur mes culpabilités et me dire que je devais me responsabiliser en m'assumant. Aussi quelques lectures philosophiques avisées m'ont grandement aidé à me tracer un chemin, tout en continuant de comprendre quelle était ma trajectoire. En fin de compte je ne suis pas si unique que ça...encore un voile de mon ego.
Mais le problème de la jeunesse est ce manque de recul associé à une idéalité telle que l'on croit dur comme fer à ce que l'on pense.
Donc en me reconstruisant, tous mes défauts que je croyais avoir mis de côté sont réapparus, ma radicalité, ma volonté d'imposer mes idées, mon ego débordant pour masquer tous mes complexes..bref je vous parle d'un orgueil, et d'une vanité que j'ai longtemps détesté, avant de commencer à m'intéresser à des pensées plus orientées sur l'harmonie avec soi, que la conquête de soi. Non pas que l'un vaille mieux que l'autre, mais les deux sont indissociables pour être un individu complet dans ses multiples facettes, et Dieu sait que je suis pluriels. Ont suivi de nombreux conflits avec moi-même, et de méchants black out, typique d'un retour du refoulé. Le constat ne pouvait être que déplorable et pathétique, mes consommations continuaient de me consumer, et j'en venais à frôler la mort encore plus qu'avant. Mais pourquoi est-ce que j'étais comme ça, c'était pas possible d'en arriver là, et si mes amis avaient raisons lorsqu'ils me charriaient en me disant que j'allais mourir à 27 ans ?
Désolé de moi-même, je regardais de plus en plus mon nombril, voulant fuir mon ego en me réfugiant dans ses bras étouffant et trompeurs, puisqu'il ne me restait plus que ça à force d'avoir détruit tout espoir en moi. J'étais fait mais décidé de ne plus risquer de mourir à chaque grosse soirée.
Alors de nouveau j'ai tout envoyé chier, et je me suis laissé aller à consommer comme un connard en rentrant dans une dépendance toujours plus prenante, quitte à me replier dans la solitude qui ronge le corps et l'esprit, finit les soirées, place à la défonce à la maison. Je marchais sur des œufs en menant plusieurs vies en même temps, aller au travail, faire du sport, et me droguer en créant des compositions graphiques, tout en cherchant à me cultiver le plus possible, mon intuition me disait que ça serait ma porte de sortie. Puis j'ai rencontré l'amour, j'ai tout arrêté sauf le cannabis et l'alcool, je me suis mis à en consommer plus qu'avant pour compenser, et aujourd'hui l'amour a disparu et ma dépendance à refait surface, je me suis cru guéri de moi, mais c'était une nouvelle illusion, un nouvel espoir qui a nouveau s'est envolé pour laissé place à la désillusion, et mon nihilisme réapparait avec son lot de morbidité, la boucle se répète. Maintenant il me reste à voir où cela me mènera, si j'ai tiré quelques leçons du passé et si je suis toujours bloqué dans les schémas du connard constamment insatisfait et avide de satisfaction immédiate, de jouissance au lieu de rechercher un plaisir plus durable (je pose la question pour ne pas entendre la réponse que je connais puisqu'elle est en moi, je me cache).
Le problème est de ne jamais se sentir à sa place, et de se rassurer au travers de ses consommations, parce qu'elles donnent l'impression de maitriser son cadre de vie, son plaisir, alors qu'en fait c'est la dépendance qui me maitrise, et je n'y peux toujours rien faute d'une plus grande volonté, ça reste toujours plus fort que moi, seule la drogue permet d’accepter la douleur d'être un homme, la souffrance latente du vivant. Peut être qu'un équilibre entre pulsion de vie et de mort est à trouver dans une consommation raisonnée à dose thérapeutique..?
A suivre.