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L'auto-support des usagers de drogues dans le contexte de la rédution des risques

Sorence

zolpinaute de la sapience
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11 Oct 2022
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Salut, voici mon résumé d'un article prenant l'exemple d'ASUD, une association française, pour présenter l'auto-support des usagers de drogues. Évidemment, c'est un peu différent de ce que l'on expérimente sur Psychonaut, d'abord parce que le terrain est virtuel, ensuite parce qu'on s'est construit en dehors de la problématique du SIDA, et enfin parce qu'on n'a pas jusqu'ici pas été spécialement militants. Mais c'est d'autant plus intéressant de regarder ce qu'il se passe ailleurs.

Référence originale :
Jauffret-Roustide, Marie. 2009. « Self-support for drug users in the context of harm reduction policy: A lay expertise defined by drug users’ life skills and citizenship ». Health Sociology Review 18 (2): 159‑72. https://doi.org/10.5172/hesr.18.2.159.




Problématique : la paire-aidance des usagers de drogues (UD) réclame à la fois de se détacher d’une identité d’exclu, et de revendiquer cette identité pour être légitime à s’exprimer sur le sujet.
Objectif : montrer comment, à partir de la notion d'expertise, les groupes d'entraide trouvent une place dans l'arène sociale et parviennent à convertir leur identité stigmatisée, définie par le danger, en une identité collective réhabilitée, définie par la citoyenneté, le consumérisme sanitaire et l'expertise des patients.
Méthodes : recherche de terrain : observation ethnographique d’actions et réunions, collection d’archives. 58 entretiens semi-directifs avec des membres d’ASUD (27) et des professionnels (31), échantillonnés afin de couvrir le maximum de situations (leaders, dissidents, pros du SIDA, des addictions, de la santé publique…). Analyse thématique par logique inductive. Prise en compte des significations pour les concerné·es, avec des précautions méthodologiques liées à la nature militante de l’objet. Juxtaposition & confrontation des points de vue.

Résultats : Les conditions sociales de l'émergence l'émergence des organisations d'UD

Le paradigme de la réduction des risques et des dommages (RdRD) écarte l’idée d’une solution unique (éradication des drogues) en faveur d’une adaptation aux circonstances de vie des usagers. La RdRD se comprend de multiples manières, par exemple Hunt (2004) distingue une version « faible » focalisée sur la santé publique et une version « forte » qui considère les droits humains. La RdRD se développe différemment selon les Etats : plus la politique des drogues est répressive, plus les mouvements d’usagers restent dans une « culture de la survie ».
En France, la RdRD est très lié au problème du SIDA et donc à l’émergence de collectifs comme AIDES et Act’Up, qui reconfigurent le patient d’un rôle passif à légitime d’exprimer son expertise. Côté usage de drogues, ASUD représente parfaitement ce mouvement.

La dépendance aux drogues est généralement associée à l'aliénation morale. Donc jusqu’à la fin des années 80, seules les opinions des spécialistes étaient légitimes dans la sphère publique. Mais la première mesure de RdRD (libéralisation de la vente de seringues jetables en 1987) entraîne de rapides changements de comportements des usagers, accréditant que ceux-ci se soucient de leur santé et peuvent agir en sa faveur. Dans le vocabulaire médical, on passe de « toxicomane » à « usager de drogues » / « UD » (cf. les mouvements de consommateurs). Par la suite, les programmes de substitution (buprénorphine, méthadone) favorisent le militantisme en permettant aux UD de se défocaliser de la recherche de soulagement du manque et de se consacrer à d’autres activités.

Pour rendre légitime la cause des UD, il faut la reconsidérer d’infortune (malchance) à injustice (donc qui peut être réparée). ASUD adopte une rhétorique délibérément dramatique, qui dénonce le haut taux d’infection au SIDA chez les consommateurs, et en rend responsable l’inaction du gouvernement français. L’organisation appelle à une version « forte » de la RdRD (droit à disposer de son corps ; reconfiguration de l'usage de drogues comme choix plutôt qu'une maladie).
Les membres d’ASUD montrent que les UD peuvent s’exprimer intelligiblement. Ils veulent que leur expérience subjective des drogues (plaisirs, méthodes de RdRD) soit reconnue à l’égal de la parole des spécialistes. Le type de connaissances que les UD possèdent spécifiquement relève des « life skills ». L’organisation capitalise sur l’idée que ce savoir appartient aux UD et ne peut être substitué. Cela peut entraîner une forme de fascination de la part des non-consommateurs. Pour ASUD, connaître les codes de la consommation entraîne une approche plus réaliste de la prévention.L’existence d’un habitus de l'usage de drogue facilite aussi les relations avec d’autres UD.
L’organisation privilégie la voix collective aux récits personnels, vus comme humiliants. Elle combat les stéréotypes en insistant sur la diversité des parcours et des pratiques.
ASUD réclame la participation systématique des UD aux événements qui les concernent, une exigence qui se trouve en partie satisfaite. La participation à l’organisation peut déboucher sur une trajectoire de professionnalisation des individus.

D'après Friedman (1990), les organisations d’UD ont pour objet : 1) la modifications des normes comportementales des UD ; 2) le lobbying politique ; 3) le support social.
ASUD évite le 3ème objectif (plutôt typé groupes d’entraide impliquant des professionnels). L’organisation se positionne sur les 2 premiers grâce à des actions conventionnelles, telles qu’un journal jouant un rôle d’éducation de pair-à-pair et de relai politique des situations réelles des UD. ASUD se configure ainsi comme porte-parole légitime des UD.
Que ces actions soient conventionnelles permet leur financement ; mais on peut aussi accuser l’organisation d’une position ambiguë de « provocation domestique ».

Discussion et conclusion :

Limite de l’étude : elle est restreinte à un seul mouvement francophone (ASUD). L'autrice l’a donc confrontée à la littérature internationale. ASUD ressemble aux autres mouvements étudiés en ce qu’il appelle l’attention sur les morts du SIDA, et fait de l’éducation par les pairs et du lobbying politique. Il est d'ailleurs confronté aux mêmes problèmes : le manque d’alliés et les difficultés de recrutement. ASUD se distingue des autres mouvements en ne faisant pas de soutien social.

Les revendications des mouvements d’UD sont épistémologique (légitimer l’expérience), politique (une version forte de la RdRD) et identitaire (reconfiguration du rôle des UD dans la société). Ces mouvements s’intègrent dans la gestion moderne des maux : associer les concernés. Mais l’illégalité du mal en question en fait un cas-limite. Également, les organisations d’UD se positionnent de façon ambiguë autour des figures de victimes / patients, les revendiquant et rejetant à la fois.
Leur représentation d’un usager de drogues libre, rationnel et responsable colle à la conception néo-libérale des individus comme « entrepreneurs du soi », dans un contexte d’« autonomie généralisée », théorisée par Ehrenberg.

Obstacles : ces représentations peuvent être des constructions professionnelles et militantes, avec un écart entre théorie et réalité de terrain. Le discours d’ASUD sur la liberté de choix d’user de drogues se heurte à la population générale des usagers de drogues qui trouve ça plus controversé.
La mobilisation est toujours plus compliquée dans les groupes stigmatisés : les précaires ont plus urgent à traiter, les intégrés ne veulent pas se mouiller ; seuls des individus aux parcours originaux acceptent d’appartenir à des organisations d’usagers de drogues.
La "version forte" de la RdRD reste paroles creuses quand les décisions politiques ne suivent pas. En France c’est loin d’être le cas puisque l’usage même de drogues est encore illégal.
Enfin, les alliances avec les autorités sont autant d’occasions pour les trajectoires personnelles. Dilemme : faut-il devenir une organisation plus tempérée afin que l'individu puisse garder sa place d’activiste de la santé ?
 

Not For Human

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27 Oct 2022
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Sorence a dit:
Évidemment, c'est un peu différent de ce que l'on expérimente sur Psychonaut, d'abord parce que le terrain est virtuel, ensuite parce qu'on s'est construit en dehors de la problématique du SIDA, et enfin parce qu'on n'a pas jusqu'ici pas été spécialement militants. Mais c'est d'autant plus intéressant de regarder ce qu'il se passe ailleurs.

Finalement pas tant que ça.
Il y a d'autres mouvements d'auto-support qui ne se sont pas construit autour de cette problématique, comme Techno Plus.

Ce sujet me fait penser à une vidéo filmée lors des EGUS il y a quelques années :

[video=youtube]


Fabrice Perez (T+ / ASUD / AFR à l'époque) parle notamment de générations d'usagers successives qui ont portées leur propres problématiques dans le cadre de la santé communautaire, et il aborde l'exemple de Not For Human (à partir de 40,40 min) et le RDV manqué avec les institutions qui nous on tourné le dos (assez ironique alors que maintenant tout le monde veut faire de l'analyse à distance par exemple).


Objectif : montrer comment, à partir de la notion d'expertise, les groupes d'entraide trouvent une place dans l'arène sociale et parviennent à convertir leur identité stigmatisée, définie par le danger, en une identité collective réhabilitée, définie par la citoyenneté, le consumérisme sanitaire et l'expertise des patients.


Concernant l'expertise des patients, même si les choses commencent à bouger du côté de la structuration des UD, avec la reconnaissance progressive des "patients experts addiction", dans la pratique beaucoup de structures rechignent à embaucher des PEA et à les mettre sur un pied d'égalité avec les autres professionnels de santé (educ spé, etc.). C'est bien dommage...
 

Sorence

zolpinaute de la sapience
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11 Oct 2022
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Il y a d'autres mouvements d'auto-support qui ne se sont pas construit autour de cette problématique, comme Techno Plus.
Oui, mais Techno+ ce n'est pas Psychonaut, ni ASUD, donc je vois pas trop le rapport.

Par contre, j'avais effectivement oublié Not For Human... Qui, bien que n'étant pas stricto sensu une asso de Psychonaut.com, a émergé de Psychonaut.com. Il y a donc bien eu une militantisation à une époque antérieure.
J'ai quand même néanmoins l'impression qu'il s'agit d'une exception dans l'histoire du forum, plutôt que de la règle.
 

Not For Human

RDR lover
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27 Oct 2022
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Sorence a dit:
Il y a d'autres mouvements d'auto-support qui ne se sont pas construit autour de cette problématique, comme Techno Plus.
Oui, mais Techno+ ce n'est pas Psychonaut, ni ASUD, donc je vois pas trop le rapport.

Je donnais cet exemple par rapport à la problématique du SIDA que tu évoquais.
 

Sorence

zolpinaute de la sapience
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11 Oct 2022
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Oui, l’autrice fait une généralité à propos d’ASUD
en France, ce qui participe à invisibiliser les autres formes d’auto-support d’UD (heureusement, d’autres auteurs s’intéressent à d’autres aspects de la question, j’essaierai d’en présenter qquns).

Ce que je voulais dire dans la phrase que tu as cité, c’est que les membres de Psychonaut risquent justement de ne pas trop se retrouver dans cet article, malgré le terme générique de « auto-support » ; et pour l’expliquer j’ai listé les différences que je vois entre ASUD, et nous.
 
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