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Becker et l'apprentissage social

Tridimensionnel

Holofractale de l'hypervérité
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En 1963, le sociologue Howard Becker publie un ouvrage du nom de Outsiders, études d'une sociologie de la déviance, qui a un succès fou et qui aujourd'hui encore fait partie des best-sellers de la sociologie. 
Que signifie "déviance" ? Ce mot désigne les pratiques qui s'éloignent de la norme, qui posent problème à la société, telles que le vol, le meurtre, la toxicomanie, la délinquance, etc. Plein de sociologues cherchaient jusque-là à l'expliquer en trouvant des caractéristiques communes aux auteurs d'actes déviants, donc en situant la cause de la déviance dans l'individu. Becker prend le contre-pied de cette approche : pour lui, la déviance est un processus par lequel des activités sont désignées comme sortant de la norme. Autrement dit, l'origine de la déviance se situe non pas dans l'individu déviant, mais dans son étiquetage comme déviant par un ordre normatif.
(Il y aurait plein de choses à dire sur la sociologie de la déviance, mais ce ne sera pas le sujet du topic. Albert Ogien a fait en 1995 un livre de synthèse à son propos.)

Cette approche est celle d'un courant qui va devenir majeur dans la sociologie américaine : l'interactionnisme. Alors que le fonctionnalisme à la Durkheim considérait que chaque rouage de la société remplit une fonction, l'interactionnisme voit la société comme un processus par lequel des individus et des groupes d'individus se transmettent continuellement des significations. trois notions sont là hyper importantes : celle de processus, et celle de signification, et celle de transmission. Tout cela permet de comprendre l'apprentissage social.

Je vais prendre un exemple qui nous intéresse, et qui est aussi le premier présenté par Becker : celui des consommateurs de cannabis. Je vais résumer rapidement, mais vous pourrez trouver l'étude entière dans les chapitres 3 et 4 de Outsider, ou alors directement l'article "Becoming a Marihuana User".
Pour écrire ces chapitres, qui à l'origine sont un article de sociologie, il a interviewé une cinquantaine de fumeurs de cannabis. Sa théorie a été construite à partir de ces entretiens, avec l'idée qu'elle n'aurait de la valeur que si elle pouvait s'appliquer à chaque cas : ce n'est donc pas statistique / quantitatif, mais purement qualitatif.

Il faut avant tout comprendre que pour Becker,  le fumeur de cannabis n'est pas une personne différente des autres. Ce n'est pas en lui, dans des caractéristiques personnelles, qu'il faut chercher l'origine de son usage de cannabis.
Le consommateur attribue, au départ, à la drogue une signification négative, renforcée au quotidien par l'expression de cette signification négative par son entourage, les médias, la police etc.
Comment en vient-il à fumer du cannabis de façon régulière, à adopter une pratique déviante, à devenir déviant ? Pour Becker, ça ne se fait pas d'un coup, il n'y a pas de cause unique. C'est le fruit d'un processus, une suite de conditions réunies les unes après les autres : il nous présente un modèle séquentiel de la déviance.


Devenir un fumeur de cannabis

La première étape, pour le futur bédaveur, est d'être en contact avec des gens qui accordent à la drogue une autre signification. Pour eux, fumer du cannabis est une source de plaisir, une activité bénigne, et surtout, non-déviante. Ce nouvel entourage rend possible, pour l'individu, une reconfiguration de ses propres significations. C'est seulement à cette condition qu'il laissera sa curiosité, son goût de l'aventure, ... prendre le dessus sur ses réticences.

Ensuite, il faut se procurer de la drogue. Cela demande soit d'avoir des amis fumeurs, soit de trouver un dealer, donc ça réclame un réseau social ou un apprentissage transmis par des pairs.

Ensuite, il faut apprendre la technique pour fumer. Il y a l'effritage, le roulage (qui peut la première fois être fait par un autre), mais aussi la façon d'inspirer, de gérer sa dose, etc. Si ces technique ne sont pas transmises par les pairs, l'expérimentateur risque fort de rester sur sa faim et ne deviendra pas un fumeur de cannabis.

Ensuite, il faut apprendre à reconnaître les effets et à les considérer comme agréables. Eh oui ! Dans les entretiens menés par Becker, la plupart des usagers se rappellent n'avoir pas "plané" la première fois, ou ne pas s'en être aperçu, ou n'avoir pas apprécié. Par exemple, on peut ressentir un grand stress à cause de ces sensations bizarres, craindre de mourir etc., et alors le pair déjà expérimenté peut dire : "t'inquiète, tu planes c'est tout" et alors la sensation bizarre acquière une nouvelle signification et on peut en profiter. On peut aussi se trouver parfaitement normal jusqu'à que les autres se mettent à rigoler et qu'on se rende compte qu'en fait on dit que de la merde depuis cinq minutes. Bref, il faut assigner la signification "je plane et ça m'éclate" aux sensations ressenties. Sinon, l'usager sera déçu et ne recommencera pas.


Rester un fumeur de cannabis

Comme Becker le dit si bien : "Un individu n'adopte un mode de consommation régulier de la marijuana que s'il a appris à l'aimer, mais cette condition nécessaire n'est pas suffisante : il doit aussi maîtriser les puissants contrôles sociaux qui font apparaître son usage comme immoral ou imprudent."
C'est l'importance de ces contrôles sociaux, leur efficacité, ou au contraire l'habileté du fumeur à les contourner, qui détermine jusqu'à quel point il mènera sa carrière de fumeur de spliff (la carrière est une autre notion importante chez Becker). Cette défaillance des contrôles sociaux est permise par l'existence de groupes sociaux alternatifs, qui n'emploient pas les mêmes significations que l'ordre global.

Trois exemples :
- pour devenir et rester un fumeur régulier, il faut avoir des sources d'approvisionnements stables. Sinon, on ne sera jamais que fumeur occasionnel. La vente étant illégale, les contrôles sociaux déstabilisent sans cesse le marché : emprisonnement des dealers, méfiance conséquente, produits peu sûrs... donc pour se procurer régulièrement du cannabis, il faut connaître les revendeurs, renouveler régulièrement sa connaissance de ce réseau, savoir comment bien présenter et inspirer la confiance, comment inspirer le respect aussi histoire de pas se faire arnaquer... Tout ça est rendu possible par l'intégration à des cercles sociaux de consommateurs qui partagent leurs bons plans, se portent garants des uns des autres etc.
- la peur d'être rejetée par les personnes attribuant des significations négatives au cannabis est un frein très puissant à l'usage régulier : la famille, l'employeur, les amitiés nouées avant le début de la consommation... L'exigence de garder le secret implique de rester discret, discontinuer les prises, surveiller son odeur, autant d'obstacles. Pour devenir un fumeur régulier, l'usager doit contrôler cette peur : soit en apprenant à paraître sobre alors qu'il est défoncé, soit en s'intégrant à un cercle social déviant où l'usage de cannabis n'a pas de signification négative et où il pourra se livrer à sa déviance sans subir de contrôle social.
- le fumeur n'est moralement pas différent des non-fumeurs, il a intégré les mêmes idéaux de "prendre soin de sa santé", "garder le contrôle" etc. Pour continuer à fumer sans se sentir mauvais, il lui faut élaborer des rationalisations qui lui permettent d'interpréter sa pratique d'une façon qui l'accorde avec la morale. Par exemple : qu'il y a pire que le cannabis, comparaisons avec l'alcool, assurer qu'on contrôle sa consommation... Ces interprétations sont soutenues et renforcées par la participation à des groupes sociaux accordant des significations similaires à l'usage de cannabis.

L'importance de ces cercles sociaux alternatifs est telle que la plupart des consommateurs ralentissent voire cessent leur consommation en s'en éloignant : qu'ils n'aient plus accès au produit, plus l'occasion de fumer, ou qu'ils changent de point de vue... La carrière de consommateur n'est donc pas infinie : les travaux sociologiques ultérieurs remarquent d'ailleurs que la plupart des usagers addicts à un produit cessent néanmoins de consommer après la trentaine.


Ok, et donc ?

Ce que j'aime retenir de cette exposé, c'est que dans l'usage de drogues, il n'y a pas que l'usager et la drogue, ce n'est pas une rencontre à deux termes. Prendre de la drogue nécessite un apprentissage social (en cela, ce n'est pas une activité différente des autres).
Aussi, bien que l'action pharmacologique d'un produit soit une donnée stable et indéniable, ce n'est pas le seul paramètre à prendre en compte pour comprendre les effets d'un produit sur une personne. L'expérience est modelée par les significations que cette personne accorde à sa consommation, des significations qui ne naissent pas ex nihilo mais sont transmises par l'entourage, les lectures, la musique, la religion, et réinterprétées par l'individu.
Et ce modelage n'est pas insignifiant, il joue un rôle prépondérant dans les trajectoires de vie. Les travaux de Becker ont ainsi été inspirés par ceux de Lindesmith qui en 1938 a montré que l'addiction aux opiacés (et la non-addiction aussi, puisqu'elle n'est pas systématique) est autant le fruit d'attributions de significations aux manque et au soulagement du manque par le produit que de l'action pharmacologique du produit. J'en parlerai peut-être une autre fois !

Pour aller plus loin, je trouverais intéresser d'envisager Psychonaut du point de vue de cet apprentissage social. Le forum est en soi un lieu d'apprentissage des techniques d'usage de drogues. Les TR donnent des clefs pour interpréter et apprécier les effets des produits. À une époque y'avait tout une hype autour des "matrices prénatales" et de l' "ego death". Même si l'on interdit l'échange de plans, il arrive qu'on donne des indices sur comment faire pour se procurer un produit (par exemple la liste RDR des shops de RC, censée aider à éviter les arnaques, ou les astuces pour naviguer sur le darknet). Fréquenter le forum normalise la consommation, c'est une observation qui a déjà été faite plusieurs fois. Et il arrive souvent que des membres prennent des distances avec le forum dans le but conscient de réduire leur consommation. Pour toutes ces raisons, des consommateurs socialement isolés IRL peuvent intégrer, même lorsqu'ils ne participent pas activement au forum, un groupe social alternatif.

Est-ce que cette grille de lecture vous parle ? Si vous repensez aux étapes de vos diverses consommations, est-ce que vous parvenez à distinguer les influences, les apprentissages, les réinterprétations ?
 

Skruffy

Holofractale de l'hypervérité
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C'est vraiment génial de résumer une théorie de socio dans un texte court, je n'aurais jamais eu le courage me taper le bouquin (et j'aurais sans doute pas pigé grand chose) donc merci beaucoup.

C'est clair que sur le fait que la conso passe par un apprentissage sociale et que nos expériences des drogues doit beaucoup aux signification que les autres, la culture nous communiquent. En fait c'est des trucs que je pense vaguement depuis longtemps sans les avoir bien articulés.

Après je me méfie toujours un peu des théories si je ne ne connais pas la matière et que je n'ai pas vu ce que disent les opposants à cette théorie. Je pense que je serais d'accord avec n'importe quelle théorie de socio qu'on me présente si elle ne va pas trop à l'encontre de mes idées politiques. Comme je ne connais rien à la socio, n'importe quelle analyse bien construite de la société va me sembler brillante.

Je me souviens que ça m'arrivait régulièrement de fumer et de pas kiffer les effets, mais je fumais par ce que je savais que j'étais sensé kiffer, puisque c'était ce que mes potes et les chanteurs de reggae disaient. Evidement c'était pas aussi clair dans ma tête à l'époque.

Je me souviens aussi qu'avant d'avoir essayé d'autres drogues que la weed, je lisait beaucoup de TR sur Psychonaut et je matais des vidéos de Psyched Substances, un youtubeur qui faisait des TR et parlait d'Allan Watts (en gros). En plus le forum était un peu plus orienté 'matrice périnatale/ego death' comme tu le dis Tridi. Psychonaut était plus du côté 'hippie sous champi' que 'matérialiste dissocié', qui est le courant de pensée dominant (le mot est faible) sur ce forum à l'heure actuelle. J'écoutais aussi beaucoup de podcasts de Terrence McKenna.

Voici des liens vers un TR de l'époque qui illustre assez bien le courant de pensée 'hippie sous champi':
https://www.psychonaut.fr/Thread-1er-Hadra-1er-LSD-Danse-et-machine-à-laver
S/O Styloplume d'ailleurs.

Le truc c'est que j'ai réellement commencé à prendre des drogues et des psychés en teuf, et donc dans un contexte qui allait de la fête à l'auto-destruction. On est loin d'Allan Watts et des matrices périnatales. Du coup, moi qui pendant de nombreuses années avait été biberonné à penser que les psyché avait une signification transcendantale, spirituelle, je me suis mis à adopter une vision beaucoup plus hédoniste voire matérialiste des drogues. La drogue était plus un truc incroyable que te faisait voyager dans les dimensions ou dissolvait ton égo, c'était une source de bien-être et de kif, voir une marchandise.

Du coup je pense que on peut avoir plusieurs apprentissages sociaux de la drogues, qui rentrent plus ou moins en conflit. J'ai eu un premier apprentissage social de la drogue avec internet, qui a été très rapidement supplanté par un deuxième apprentissage social IRL. Je dirais même que j'ai eu une troisième phase d'apprentissage en rentrant en contact à l'université avec des gens qui avaient une approche beaucoup plus scientifique de la drogue puisque c'était un de leurs sujets d'études.

J'aimerais bien trouver des gens qui ont par exemple commencé par fumer du cannabis en bas des blocs en écoutant du rap, puis rencontré des hippies et pris du LSD en chantant des mantras. Je me demande si ils auraient des significations bien distincte pour chaque drogue.
 

Sandman

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Tridimensionnel a dit:
Est-ce que cette grille de lecture vous parle ? Si vous repensez aux étapes de vos diverses consommations, est-ce que vous parvenez à distinguer les influences, les apprentissages, les réinterprétations ?

C'est difficile comme question, je vais y réfléchir.

Pour donner un semblant de réponse je dirais qu'une grande partie des déterminismes du drogué viennent de l'extérieur et de son inconscient. Deux matrices dont la connaissance n'est que superficielle pendant la consommation.

Je pense que cet partie indéchiffrable de l'addiction est aussi fascinante que dangereuse et qu'il faut pour l'étudier se pencher sur elle avec une précaution méticuleuse de scientifique.
La plupart des consommateurs que j'ai connu font l'effort d'une introspection subjective, peu font l'effort de chercher les mécanismes sous tendus dans leurs façon de vivre générale, leur hygiène de vie, leurs fréquentations, leurs traumas d'enfance, le mimétisme en société.

C'est facile de dire qu'on fume un spliff pour s'évader par exemple. De "psychologiser" la consommation sur le moment.
C'est plus dur de prendre un recul plus large, de se demander si à l'instant T, ce joint on ne l'a pas allumé parce qu'on à vu quelqu'un d'autre fumer, parce qu'un rayon de soleil à travers une fenêtre, a réveillé une mémoire indicible qui vient faire réapparaitre d'anciennes sensations, ou même simplement pour déclencher un peu d'adrénaline par plaisir du risque. Faire des statistiques objectives sur tous les facteurs pour en tirer des conclusions.

Skruffy a dit:
Après je me méfie toujours un peu des théories si je ne ne connais pas la matière et que je n'ai pas vu ce que disent les opposants à cette théorie. Je pense que je serais d'accord avec n'importe quelle théorie de socio qu'on me présente si elle ne va pas trop à l'encontre de mes idées politiques. Comme je ne connais rien à la socio, n'importe quelle analyse bien construite de la société va me sembler brillante.

Il faut oser sans trop oser.

Si j'ose dire...
 

amicale_du_pc

Holofractale de l'hypervérité
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je ne suis pas psy mais je peux tjs m'exprimer, Ce n'est pas que ce soit rébarbatif ou non, compatible ou non pour le scientifique qui importe, mais si c'est crédible. Je voudrais bien juste être crédible.

L'apologie moderne de la drogue s'amorce avec la 2de Guerre Mondiale (c'est d'ailleurs un argument développé tout le long de la Lyre...). En cette matière des drogues, des indices comme l'anglicisme propageant une culture spécifique avec des termes, des mots, des dénominations, mènent notre feeling de chercheur pour le combiner aux méthodes... Quand on passe à la scène, aux évènements des sixties, on voit tout ça parce que on quitte la nature tragique des épreuves des années 40. Celles-ci restent l'énigme sectaire de certaines générations, et tout ce qui s'y rapporte idem. La drogue reste un as dans la manche de Satan quand il règne sur les champs de bataille. C'est aujourd'hui encore caché comme un ancien secret militaire...

Du coup, célébrer la Liberté à outrance lors des 60, 70, avec la drogue, commémore une idéologie de façon assez fort manifeste. Quand on célèbre la fin d'une guerre sans s'être battu pour la Victoire (quand on a été trop jeune par exemple... ou que on est né après...) on est alors de cette multitude lançant des vivats sur le passage du défilé des vétérans...


Oui, mais cette vue de l'esprit de fanfarons d'Après-guerre liés à la fanfare des grenadiers de la guerre omet la profondeur réelle d'une bacchanale paillarde en marge... Cela va plus loin que des beuveries ou du chahut... Il s'agit d'un mode de vie, de drogues, de débauche, d'opium... C'est le contrechoc d'une guerre en temps de paix.

ptn, pour l'image d'épinal on a été des fanfarons mais pas au sens klette actuel !!! On a été des fanfarons hyper-nucléaires !!!


Alors je ne sais pas comment cette circonstance sociologique se place dans l'analyse mais elle peut certainement correspondre à une méthode raisonnable.


[EDIT]
1) à la défense des pranksters et autres fanfarons hyper nucléaires, ce n'est pas en demeurant restrictifs et austères après une guerre mondiale que une société développée se recharge sur le plan psychique. C'est impossible !

2) aujourd'hui on se fait un film "warrior" pour prendre le relais (des fanfarons hyper-nucléaires...). C'est un coup élaboré des ministères.
 

Sandman

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amicale_du_pc a dit:
L'apologie moderne de la drogue s'amorce avec la 2de Guerre Mondiale

L'apologie de la drogue récréative (si c'est ça que tu entends par "moderne") elle s'annonce bien avant. On pourrait citer des poètes comme Baudelaire, mais en réalité déjà dans la Grèce antique avec Hérodote, au Moyen-âge dans les pays musulmans, les fumeries d'opium en Chine.

Les Hippies américains dont tu aimes vanter l'avant-gardisme ne sont que des gentils copieurs, qui n'ont jamais d'ailleurs compris grand-chose aux drogues et aux cultures desquelles elles dérivaient vu l'usage infantile et matérialiste qu'ils en ont fait.
 

amicale_du_pc

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Mr Sandman a dit:
amicale_du_pc a dit:
L'apologie moderne de la drogue s'amorce avec la 2de Guerre Mondiale

L'apologie de la drogue récréative (si c'est ça que tu entends par "moderne") elle s'annonce bien avant. On pourrait citer des poètes comme Baudelaire, mais en réalité déjà dans la Grèce antique avec Hérodote, au Moyen-âge dans les pays musulmans, les fumeries d'opium en Chine.

Les Hippies américains dont tu aimes vanter l'avant-gardisme ne sont que des gentils copieurs, qui n'ont jamais d'ailleurs compris grand-chose aux drogues et aux cultures desquelles elles dérivaient vu l'usage infantile et matérialiste qu'ils en ont fait.

ah bon ?? heu si tu le dis.
Par apologie je vois une idéologique comme par exemple ce poster de propagande qui m'a souvent accompagné lors de mes défonces avec l'oncle Sam ou les couleurs anglaises associées à la drogue. Cela n'existait pas dans les contextes que tu cites
 

Tridimensionnel

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Skruffy a dit:
je n'aurais jamais eu le courage me taper le bouquin (et j'aurais sans doute pas pigé grand chose)
Si tu en trouves un jour le courage je te conseille quand même fortement ce bouquin ! Malgré un début et une fin plutôt théoriques, les deux études de cas présentées par Becker (les fumeurs de cannabis et les jazzmen) sont très didactiques et agréables à lire. Becker est connu pour son style accessible, sans effets de manche, il a d'ailleurs dirigé des cours d'écriture. Je pense que l'étude sur les jazzmen pourrait beaucoup t'intéresser.

Skruffy a dit:
Après je me méfie toujours un peu des théories si je ne ne connais pas la matière et que je n'ai pas vu ce que disent les opposants à cette théorie.
Tu as bien raison. La théorie de la déviance de Becker a été critiquée, notamment sur quelques points théoriquement instables et qu'il a affiné par la suite. Mais les principales critiques ont été de nature politique : à droite on l'a accusé de complaisance envers la délinquance, et à gauche, de complaisance envers la répression.
Concernant l'usage de drogues, ses théories sont assez fondatrices en sociologie. Elles ont été affinées par des auteurs plus récents (tels que P. Bouhnik ou R. Castel, mais j'ai pas lu leurs livres) et même par des sociologues du numérique (je posterai peut-être des résumés quand j'en trouverai le courage).
Je pense que la principale critique qu'on peut faire à cet article, c'est d'être très daté. Paru en 1963, écrit encore plus tôt... Par exemple, il écrit que le cannabis ne provoque pas de dépendance, alors qu'on sait aujourd'hui que si, mais d'une façon bien différente des opiacés qui sont alors la référence.
Je lui reprocherais surtout de ne pas assez prendre en compte la dimension pharmacologique des produits. J'ai aucun doute sur le fait qu'il en ait conscience, mais on est dans un contexte historique où les drogues ne sont considérées par les législateurs qu'en terme d'action mécanique sur le corps, d'où une nécessité de compenser avec un angle d'approche radicalement différent.
Par exemple, pensons au premier trip de Hoffman : c'est un pur condensé d'expérience psychédélique, tout y est ! L'euphorie, la stimulation, les déformations visuelles, l'angoisse, la mort-renaissance, et même l'afterglow. Pourtant, il n'y avait personne pour lui expliquer ! Mais on peut quand même noter que cette angoisse se calme lorsque le médecin lui affirme qu'il ne risque rien : la mort s'éloigne, et le trip prend alors une autre signification.
L'idéal aujourd'hui ce serait (est ?) des études articulant effets personnels et effets sociaux, nature et culture en quelques sorte.

Skruffy a dit:
Du coup je pense que on peut avoir plusieurs apprentissages sociaux de la drogues, qui rentrent plus ou moins en conflit. 

Tout à fait :)
D'ailleurs, tu arriverais à raconter comment ces apprentissages différents s'expriment en toi, comment ils se sont affrontés et supplantés ?

Sandman a dit:
C'est facile de dire qu'on fume un spliff pour s'évader par exemple. De "psychologiser" la consommation sur le moment.
Tu as mis le mot entre guillemets, mais "psychologisation" est bien le concept utilisé par les sociologues pour le geste de réduire un fait à sa dimension personnelle en occultant ce qu'il doit aux interactions sociales.
 

Sandman

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Tridimensionnel a dit:
Tu as mis le mot entre guillemets, mais "psychologisation" est bien le concept utilisé par les sociologues pour le geste de réduire un fait à sa dimension personnelle en occultant ce qu'il doit aux interactions sociales.

Ben tu vois je pensais l'avoir inventé mais des sociologues l'utilisent déjà. Quel esprit brillant je fais  :coool:
 

Skruffy

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Ok il faudrait que je lise le truc sur les jazzmen alors. Il parle du jazz comme déviance? 

Tridimensionnel a dit:
Tout à fait :)
D'ailleurs, tu arriverais à raconter comment ces apprentissages différents s'expriment en toi, comment ils se sont affrontés et supplantés ?

J'ai commencé les teufs à à peine 18ans, donc j'étais encore en train de me construire et très influençable, donc je suis passé à l'apprentissage 'teufeur' rapidement et sans m'en rendre compte. Surtout qu'à cet age là on aime bien se fondre dans un groupe, une tribu, et pour moi ça a été celle là. Et puis je consommais pas vraiment de drogues à par cannabis alcool avant de faire des teufs, donc l'apprentissage 'McKenna/Psychonaut' m'a pas influencé dans la pratique, juste dans la manière d'appréhender la drogue.

Par contre pendant longtemps j'ai traîné cette idée qu'il devait y avoir quelque chose de transcendental, peut être de salvateur, à la prise de psychés et de dissos. Cette idée est bien exprimée par Hunter S Thomson dans Las Vegas Parano:

'[Voici] une des idées fausses qui étaient au centre de l'acid culture de Tim Leary. Elle consistait à croire que quelqu'un, ou quelque chose, entretenait une flamme au bout du tunnel'. (c'est pas la citation exact, juste de mémoire)

Et donc toujours cette envie d'aller voir plus loin dans le tunnel (donc d'en repdrop plus). J'ai abandonné cette idée après un double redrop d'acide à 8h du mat'. J'ai vu continuer à avancer dans le tunnel mènerai pas à la lumière, juste à la folie (pour le dire de façon un peu métaphorique).
 

Tridimensionnel

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Il parle du jazz comme déviance?
Pour le dire très simplement : à son époque, les orchestres sont l'équivalent de la musique électronique de nos jours, et le jazz un genre d'avant-garde. Les musiciens veulent jouer du jazz (= improvisation), mais le public veut du commercial (= chansons). Donc chaque musicien doit choisir entre une vie de jazzman fauché et incompris, ou une vie de normie bien payé : et dans les faits concilie ces deux voies en diverses proportions. Le système des coteries (= solidarité entre musiciens) crée des groupes affinitaires où chacun est l'obligé de tous et le contraire. Bref, tout ça fait que les musiciens de jazz se rassemblent entre eux pour former des groupes sociaux alternatifs où toute excentricité est valorisée et toute normalité méprisée. Le modèle séquentiel étant qu’un musicien rejoignant ces groupes de jazzmen apprend à mépriser les non-jazzmen, et que ceux qui par la suite se marient ou rejoignent des coteries plus sages abandonnent cette vision du monde, qui n’est pas très compatible avec une vie stable. Avec cet exemple, Becker montre que la déviance n'est pas synonyme de délinquance :) 
(la vérité, c'est qu'il était musicien et fumeur de cannabis)
 

Laura Revenudelaba

Elfe Mécanique
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Super cette vulgarisation d'article ! On voit bien que la prise de stupéfiant s'inscrit dans une recherche identitaire, au travers d'une socialisation dans un groupe de pairs.

On ne choisit pas de devenir bédaveur, on le devient du fait d'imiter nos fréquentations pour le dire simplement, l'imitation étant une composante fondamentale de la socialisation (imitation consciente, ou pas, il y a là une grande part de détermination quand même, selon nos identifications à certains groupes, associés à des symboles que l'on suit/retrouve en soi - par exemple l'idéalisation de l'image cool du bédaveur, genre anti-système quand on est prit dans une logique de rébellion typique de l'adolescence).

Sinon il y a une autre dimension identificatrice qu'on retrouve dans l'addiction, lorsque le consommateur dépendant se définit comme toxico, comme si son addiction le définissait sur le plan identitaire ("je suis un drogué" dit l'usager à son thérapeute).
Un premier pas thérapeutique serait de déconstruire cette vision de soi essentialisante, en comprenant que l'on n'est pas qu'un bédaveur, mais que la bédave est une composante de notre vie, dans la multitude de nos pratiques quotidiennes. Bon quand t'es addict au dernier degré en consommant du matin au soir, le travail de déconstruction est plus compliqué que si tu fumes un spliff le soir pour te détendre...d'où l'intérêt de comprendre quel apprentissage social l'on a suivit dans la construction de notre personne.
 
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