Quetzal
Holofractale de l'hypervérité
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Voici un texte particulièrement interessant.
Extrait
Dans L'Infini turbulent, Henri Michaux met en mots une expérience temporelle :
L'intoxication mescalinienne comme expérience transcendantale
Le texte de Michaux est le récit d'une expérience d'intoxication mescalinienne. Mais malgré ses qualités d'écriture poétique, la valeur de ce récit n'est pas d'abord esthétique. C'est le récit d'un apprentissage. Qu'est-ce que Michaux a cherché à apprendre dans la drogue ? La réponse est triple : « L'irrégulier et difficile apprentissage où les éléments d'un monde, d'une connaissance et d'un comportement nouveau défilent devant qui saura les voir et les reconnaître. » La drogue est chargée d'une triple efficacité : cosmologique, gnoséologique et éthique. Elle se place ainsi à l'étiage de la philosophie, définie par les transcendantaux qui sont ses objets : l'Être, l'Un, le Vrai, le Bien.
Premièrement, Michaux charge la drogue du pouvoir de dévoiler le « secret du monde [2] », c'est-à-dire de livrer l'Être. Une telle prétention met l'expérimentation hallucinogène en résonance « objective » avec la métaphysique, qui se risque au-delà du phénomène pour ressaisir le principe d'unité du monde actuel. L'expérience mescalinienne réactualise spontanément le schématisme et le style naïf des plus vieilles cosmologies matérialistes de la pensée occidentale : « au commencement est le Grand Tourbillon… » La drogue enveloppe une hénologie innocente : tout est un dans le tourbillon cosmique.
Deuxièmement, un monde infini, fait de flux et de turbulences, exige un mode de connaissance adéquat, aussi mouvant et vertigineux que la réalité même que l'on cherche à connaître : une « connaissance par les gouffres [3] ». À la suite d'Artaud puis de Castaneda, qui ont cherché dans le culte mexicain du peyotl un rite initiatique [4], Michaux ne s'expose à la drogue qu'en lui demandant un savoir : « Les drogues nous ennuient avec leur paradis. Qu'elles nous donnent plutôt un peu de savoir. Nous ne sommes pas un siècle à paradis. [5] » La connaissance doit expérimenter ses montées et ses descentes dans le maelström, non pas comme dans la dialectique platonicienne, mais suivant le rythme inégal et démesuré de l'Infini turbulent. Même oblitérée, lysée, scotomisée, éclipsée, ayant perdu la maîtrise de ses vitesses, désorientée [6], la pensée pense vraiment. L'étourdissement, le vertige, la fuite des idées, le délire sont des modes de pensée et de connaissance, plus ou moins rapides, plus ou moins efficaces ou avortés, mais non moins authentiques que le raisonnement pur, et capables de vérité.
Un autre extrait, bien trippant :
La mescaline, en inhibant cette action sélective du système nerveux, relâche la conscience perceptive, qui se met à vivre dans les choses mêmes : elle entre pour ainsi dire dans la « chrysalide » de la qualité sensible, dans sa vibration intérieure [21]. Le bergsonisme mescalinien est cependant d'une instabilité effroyable. Le Cône de la Mémoire se met à tourbillonner comme une toupie au milieu du chaos, où, comme un vol criard d'oiseaux en émoi, tous mes souvenirs se jettent sur moi. Les mirages, les hallucinations, les fantasmes sont des vécus perceptifs qui recouvrent l'expérience et trahissent de l'intérieur son sens cosmologique en la rabattant narcissiquement sur la simple psychologie introspective [22]. La drogue a ses montagnes russes : elle peut aussi bien nous ouvrir sur un cosmos pour une interstellar overdrive que nous enfermer entre quatre murs, et ajouter toujours de nouvelles briques dans le mur.
la suite : http://www.rhuthmos.eu/spip.php?article358#nh10
Je ne suis pas en accord avec tout. Mais presque. Ce texte raisonne de partout, c'est assez fabuleux, j'en ai eu des frissons. A lire absolument si vous etes psychonaute!
Extrait
Dans L'Infini turbulent, Henri Michaux met en mots une expérience temporelle :
Noble, grandiose, impeccable, chaque instant se forme, s'achève, s'effondre, se refait en un nouvel instant qui se fait, qui se forme, qui s'accomplit, qui s'effondre et se refait en un nouvel instant qui se fait, qui se forme, qui s'achève et se ploie et se relie au suivant qui s'annonce, qui se fait, qui se forme, qui s'achève et s'exténue dans le suivant, qui naît, qui se dresse, qui succombe et au suivant se raccorde, qui vient, qui s'érige, mûrit et au suivant se joint… qui se forme et ainsi sans fin, sans ralentissement, sans épuisement, sans accident, d'une perfection éperdue, et monumentalement. [1]
Peu de phrases résonnent en nous à une telle profondeur, nous donnant le sentiment d'être introduits au plus intime du monde en train de se faire. Cette phrase hachée de virgules doit être scandée, dite plutôt que lue, vocalisée avec les variations de vitesse et d'intensité qui seules peuvent exprimer sa puissance cosmogonique. On sent ici battre le cœur même du réel, dont le rythme syncopé raccorde les instants impérieux les uns aux autres et accomplit ainsi la « continuité universelle ». Ce rythme, n'est-ce pas exactement le « procès créateur », tel que la cosmologie d'Alfred North Whitehead l'a conceptualisé et systématisé ?
L'intoxication mescalinienne comme expérience transcendantale
Le texte de Michaux est le récit d'une expérience d'intoxication mescalinienne. Mais malgré ses qualités d'écriture poétique, la valeur de ce récit n'est pas d'abord esthétique. C'est le récit d'un apprentissage. Qu'est-ce que Michaux a cherché à apprendre dans la drogue ? La réponse est triple : « L'irrégulier et difficile apprentissage où les éléments d'un monde, d'une connaissance et d'un comportement nouveau défilent devant qui saura les voir et les reconnaître. » La drogue est chargée d'une triple efficacité : cosmologique, gnoséologique et éthique. Elle se place ainsi à l'étiage de la philosophie, définie par les transcendantaux qui sont ses objets : l'Être, l'Un, le Vrai, le Bien.
Premièrement, Michaux charge la drogue du pouvoir de dévoiler le « secret du monde [2] », c'est-à-dire de livrer l'Être. Une telle prétention met l'expérimentation hallucinogène en résonance « objective » avec la métaphysique, qui se risque au-delà du phénomène pour ressaisir le principe d'unité du monde actuel. L'expérience mescalinienne réactualise spontanément le schématisme et le style naïf des plus vieilles cosmologies matérialistes de la pensée occidentale : « au commencement est le Grand Tourbillon… » La drogue enveloppe une hénologie innocente : tout est un dans le tourbillon cosmique.
Deuxièmement, un monde infini, fait de flux et de turbulences, exige un mode de connaissance adéquat, aussi mouvant et vertigineux que la réalité même que l'on cherche à connaître : une « connaissance par les gouffres [3] ». À la suite d'Artaud puis de Castaneda, qui ont cherché dans le culte mexicain du peyotl un rite initiatique [4], Michaux ne s'expose à la drogue qu'en lui demandant un savoir : « Les drogues nous ennuient avec leur paradis. Qu'elles nous donnent plutôt un peu de savoir. Nous ne sommes pas un siècle à paradis. [5] » La connaissance doit expérimenter ses montées et ses descentes dans le maelström, non pas comme dans la dialectique platonicienne, mais suivant le rythme inégal et démesuré de l'Infini turbulent. Même oblitérée, lysée, scotomisée, éclipsée, ayant perdu la maîtrise de ses vitesses, désorientée [6], la pensée pense vraiment. L'étourdissement, le vertige, la fuite des idées, le délire sont des modes de pensée et de connaissance, plus ou moins rapides, plus ou moins efficaces ou avortés, mais non moins authentiques que le raisonnement pur, et capables de vérité.
Un autre extrait, bien trippant :
La mescaline, en inhibant cette action sélective du système nerveux, relâche la conscience perceptive, qui se met à vivre dans les choses mêmes : elle entre pour ainsi dire dans la « chrysalide » de la qualité sensible, dans sa vibration intérieure [21]. Le bergsonisme mescalinien est cependant d'une instabilité effroyable. Le Cône de la Mémoire se met à tourbillonner comme une toupie au milieu du chaos, où, comme un vol criard d'oiseaux en émoi, tous mes souvenirs se jettent sur moi. Les mirages, les hallucinations, les fantasmes sont des vécus perceptifs qui recouvrent l'expérience et trahissent de l'intérieur son sens cosmologique en la rabattant narcissiquement sur la simple psychologie introspective [22]. La drogue a ses montagnes russes : elle peut aussi bien nous ouvrir sur un cosmos pour une interstellar overdrive que nous enfermer entre quatre murs, et ajouter toujours de nouvelles briques dans le mur.
la suite : http://www.rhuthmos.eu/spip.php?article358#nh10
Je ne suis pas en accord avec tout. Mais presque. Ce texte raisonne de partout, c'est assez fabuleux, j'en ai eu des frissons. A lire absolument si vous etes psychonaute!