[fiction] Alcool - Le grand excès consummériste

Laura Revenudelaba

Elfe Mécanique
Ce Tr n'en est pas un.

Il s'agit d'un extrait de roman que j'ai écrit sans être paru. Pour remettre l'histoire dans le contexte, Vernus a 17 ans en banlieue parisienne et il découvre les drogues avec ses amis, entre kiffe et questionnements existentiels, à la découverte de soi et du Tout.


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Pour Vernus, sortir était alors le moment où il se sentait le plus exister. Aux terrasses des bars les jeunes filles se recoiffaient gracieusement dans de furtifs coup d’œil , les effluves de parfum l’enivraient et il t omba i t amoureux plusieurs fois par soirs. Mais toujours maladroit avec le genre féminin faute de le fréquenter, incapable d’oser aborder l’autre sexe, Vernus cherchait la désinhibition dans l'ébriété.

Ce samedi soir il retrouva ses amis au supermarché. I ls achetèrent des bières fortes, avant de se diriger vers la place centrale. Pour trois euros ils se garantissaient une ébriété maximale avec deux ou trois canettes , la Maximator portant bien son nom avec son demi litre d'alcool à 11,6%. Sans argent pour s'afficher dans les bar s , ils se contentaient de traîner dans les rues en allant de place en place, buvant leur intolérance à l'ennui dans une quête d'extase dionysiaque. Lorsqu'il pleuvait ils se réfugiaient dans des parkings ou allaient au cinéma. La semaine passée ils avaient vu Troupe d’Élite et étaient ressortis de la séance complètement saouls. L es deux Fax que Vernus avait bu très rapidement l’avait fait disjoncter devant le film. Surexcité par le s deux litr on s d e bière à 10 degrés, il s’était mit à ramper dans les allées vides, se positionnant entre les sièges pour tirer sur les protagonistes à l’écran. Entre deux explosions l a copine d’Antoine lui avait gentiment demander de se rasseoir a uprès d’eux, ce que fit Vernus, obéissant à cette douce voie féminine. Impossible pour lui de s’opposer à autant de clémence maternelle. Mais il ne tint pas longtemps en place. Incapable de se concentrer sur le film, plus il essaya de raccorder les images aux voix, plus sa vision se troubla, se flouta jusqu’à voir double. Il résista au point de voir triple, puis subitement se leva et gagna difficilement les toilettes, titubant d’un mur à l’autre tout le long du couloir chancelant.
B lack out.
Il se réveilla en entendant la voix familière de Grégoire, lointainement proche :
- I l est là ?
- Oui dans ces chiottes. Ah putain il s’est vomi dessus, rigola Dimitri.
A ssis sur sa cuvette, Vernus ouvrit les yeux et vit une galette de vomi entre ses chaussures. Il se rassura d’être habillé, mais ses C onverses noires et le bas de son jean étaient constellés de gouttelettes beiges. Il se leva avec autant de fierté qu’il pu, sortit des WC sans dire un mot et s’engouffra dans l’escalier comme s’il fuyait une scène de crime. Il glissa dès la première marche et s’affala de tout son long, dégringolant jusqu’en bas la dizaine de marche. Il se releva sans broncher, ouvrit la porte avec fracas et déboula dans la rue. Tout son monde vacillait mais Vernus se sentit bien. Mieux. Absout de la réalité, sa conscience anesthésiée par le poison alcool, il n'avait plus honte de lui malgré son pathétique état.

E rrant tel un zombi, il marcha seul dans la rue, sans entend re les appels de ses camarades derrière lui. Ébloui par l'incandescence des réverbères, son corps évaporé dans l’éther t angua d'une porte d'entrée à l'autre , avant de s'arrêt er net devant un a bri bus. Sa vision brouillée fit la netteté sur de ux mannequins en petites tenues, dont les corps ne firent plus qu'un dans un effort de concentration. Impacté par l a beauté du corps féminin, la sensation de désir mêlé e à un arrière goût de frustration le fit redescendre . « Jamais j'aurais une meuf pareil ! » E ntre p eur de ne pas être à la hauteur et de ne pas mériter une telle beauté, tout en la désir ant ardemment, il se mit à haïr ce canon esthétique, corps idéalisé imposé par la société de consommation. Depuis qu'il était tout petit, des milliers de silhouettes de jeunes femmes minces et pulpeuses avaient rempli son esprit, l'influençant malgré lui à espérer en jouir . D ’a mbivalent s sentiments, d’allure s auvage, c ette brune aux gros seins dans un soutien gorge rouge flamboyant l'excita autant qu'elle le révulsa. Objet de désir artificiel, il la souhaita libre de ne plus être une marchandise. Bien qu'elle ai t due batailler dur pour en arriver là… A près tout elle avait sûrement longtemps rêvé d'être l'égérie d'une marque de sous vêtement. L e temps d'une saison. « Si bonne et si conne. C'est minable ! » Impulsivement Vernus cracha sur la publicité, et à moitié sur son pull, quand une violente poussée le propulsa contre la femme fatale. Sa tête heurta sa poitrine pleine de bave maintenant dégoulinante sur son visage, avant de choir à terre. KO. Au dessus de lui rigolait Dimitri avec Grégoire hilare. Vernus se releva en maugréant : « P’tain de connards de merde. Z'êtes des enculés. »

Trop faible pour se venger de ses potes bourrés, il s'a genouilla au pied du panneau publicitaire et vomit sur la désolation du monde. Évacuant ces forces insidieuses qui, dans une instrumentalisation de ses désirs inconscients, préformaient son asservissement, colonisaient sa conscience en modelant ses structures psychiques. Le système marchand devait s'ingérer au plus profond des êtres désireux, marionnettes manipulées par les fils de leurs innombrables frustrations, pour susciter en eux des envies promues de fortune, de célébrité et d'aventure, de jouissance manquée. Peines perdues oubliées dans la satisfaction d’achats de vulgaires biens de consommation. A leur miséricordieuse portée.
A près avoir consulté l es travaux de son oncle Freud sur le s mécanismes du désir humain, durant les années 20 Edward Bernays participa à façonner l’American Way Of Life, ou l’ultra-consumérisme, en tant que conseiller en relations publiques auprès de puissants dirigeants d’entreprises et d u gouvernement . L 'avènement du marketing de masse, sur le modèle des propagandes de guerre , qui de génération en génération format a les corps et esprits d e citoyens amenés à désirer posséder ce dont ils n'avaient ni envie ni besoin, mais qui leur serait accessible en prenant des crédits. Leurs insatisfactions trompées dans des rêveries médiocres, conçues et vendues par le système marchand lui-même, toujours avec excès. Depuis longtemps la majorité des parents ne cherchaient plus à protéger leurs enfants des multiples assauts publicitaires et médiatiques, banalisés, complices de participer à la décadence du monde, à la normalisation d’une servitude volontaire moderne dans le consumérisme. En cette entrée dans le troisième millénaire, chacun dépossédé de sa subjectivité était prisonnier de la modernité, nous faisant telle que les puissants l’avaient voulu. Moutonnier tout en croyant être maître de soi, de ses choix, dans l’illusion d’un soit disant libre arbitre. Aujourd’hui, dans le tout technologique toute lutte s’avérait désuète, toute critique véritable inutile et obsolète, face à des comportements acquis, automatisés, sans retour en arrière possible. Vernus le constata d’une intuition désagréable en finissant de vomir.

S es frustr ation s expié e s, s a colère refoul ée et l 'illusion du meilleur des mondes retrouvée , il oublia sa condition servile et rejoignit ses amis. Toute la fin de soirée i l fit le pitre en jouant un rôle de jeune bourré racontant des âneries , et tout le monde rigola dans un état de débauche partagé .
En rentrant chez lui, Vernus cracha sur chaque panneau publicitaire qu'il croisa, expliquant à Grégoire que chacun payait sa douleur en achetant de quoi s'asservir, comme lorsqu'ils buvaient jusqu'à l'ivresse.
- Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes Vernus ? On a juste picolé au ciné...
- Et moi j'te dis qu'on est des moutons, t’as vu comment j’ai rampé c o mme les Américains dans le film ? Comment je suis resté scotché devant la meuf de la pub ?
- Ahah tu l’as prise en pleine tronche !
- O n se fait déposséder de notre personnalité en devenant comme la publicité le veut. On est conditionné comme des produits, o n nous vend des modes de vie et nous on kiffe se prendre pour des machines. Vernus imita un robot téléphoner puis taper au clavier dans des gestes mécaniques rigides, ses bras en angle droit, avant de tirer partout autour de lui avec des flingues imaginaires. « On ne fait plus rien par nous-mêmes, on copie la merde qu’on voit. Et on devient des merdes, ajouta-t-il en trébuchant. Regarde j'arrive même plus à marcher droit putain ! Un relent de vomi lui donna un haut le cœur, il respira profondément puis reprit : « Mais moi je ne suis plus dupe. Maintenant je sais !
Vernus leva it la main d'un doigt tendu vers le ciel.
N'aimant pas la tournure de la discussion, Grégoire effray é par les propos confus de Vernus ne répondit rien. Son ton dramatique résonnait gravement en lui, mais les forces à l’œuvre dans son esprit censurèrent ce qu’il ne voulait pas voir. Admettre. Éprit d'une dénégation, pour ne pas subir une triste vérité, Grégoire se refusa d'entrevoir le réel proposé par Vernus :
- Moi je tourne là, s alut Vernus . R epose toi bien.
- T’inquiète. Maintenant on sait.
- ...A lundi mec.
 
Hey, tu voudras bien mettre toi-même « fiction » entre crochets sur tes prochains TR imaginaires ?
 
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