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Ehrenberg et la fatigue d’être soi

Tridimensionnel

Holofractale de l'hypervérité
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27 Avr 2016
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Alain Ehrenberg est un sociologue français qui pèse dans l'arène et dont les sujets de préoccupation sont, je trouve, fort psychonautiques. Ça tourne globalement autour de la notion d' "autonomie", càd l'individu comme projet de soi-même (je ne le dirai pas mieux que lui donc lisez la suite du topic). Non seulement il aborde l'usage de drogues et la santé mentale, mais ses réflexions sont extensibles aussi aux spiritualités contemporaines, aux collectifs de patients et de consommateurs (dont Psychonaut est une variante), à l'appropriation des savoirs biomédicaux par les profanes, etc.
J'ai trouvé ses ouvrages superbement résumés par Philippe Fabry dans ces fiches de lectures, que je reproduis afin de les sauvegarder :) La page contient également des extraits choisis.

"Le culte de la performance (1991), L'individu incertain (1995), La fatigue d'être soi (1998) : ces trois livres d'Alain Ehrenberg forment une suite, une vaste enquête sur l'individualisme contemporain, le changements des normes régissant vie publique et vie privée.


Résumé général

L'individualisme est souvent analysé comme un repli généralisé sur la vie privée. À travers ces trois ouvrages et à propos de sujets très variés, Alain Ehrenberg démontre qu'il s'agit plutôt de la généralisation d'une norme d'autonomie. Cette norme impose un changement des rapports entre privé et public, car l'autonomie exigée dans le domaine public prend ses appuis dans le domaine privé. Dans les deux domaines, privé et public, la réussite impose de plus en plus les mêmes outils : savoir communiquer, négocier, se motiver, gérer son temps…
Un thème central de cette recherche est celui de la fragilisation des individus, qui doivent se produire eux-mêmes dans un monde de plus en plus morcelé.
Le premier volet de cette enquête cherche à montrer comment la montée en puissance des valeurs de la concurrence économique et de la compétition sportive (Le culte de la performance) dans la société française, a "propulsé un individu-trajectoire à la conquête de son identité personnelle et de sa réussite sociale, sommé de se dépasser dans une aventure entrepreneuriale".
Le second volet décrit comment cette conquête s'accompagne de souffrances psychiques. Dans L'individu incertain, Alain Ehrenberg montre le prix de l'autonomie : une exigence accrue de responsabilité. "Enjoint de décider et d'agir en permanence dans sa vie privée comme professionnelle, l'individu conquérant [analysé dans Le culte de la performance] est en même temps un fardeau pour lui-même. Tendu entre conquête et souffrance, l'individualisme présente ainsi un double visage". Deux pratiques de masse illustrent cette problématique : la mise en scène de soi avec les programmes de télé-réalité, les débats où les vies ordinaires "se donnent en pâture", et les techniques d'action sur soi au travers des drogues et des psychotropes. Dans les deux cas, il s'agit de symptômes concernant des troubles de la capacité à agir.
Le troisième volet est une enquête sur l'évolution de la notion psychiatrique de dépression, avec le passage d'une dépression basée sur le conflit entre désirs et morale, le refoulement, l'interdit… à une dépression traduisant un manque d'énergie et de désir. La compétition sportive, la télé-réalité, les addictions ou la dépression, sont utilisés par Alain Ehrenberg comme analyseurs des mutations de l'identité et du rapport entre identité et action. À chaque fois sont croisées plusieurs approches : historique, anthropologique, sociologique, politique.

Le culte de la performance

"Le culte de la performance prend son essor au cours des années 80 à travers trois déplacements. Les champions sportifs sont des symboles d'excellence sociale alors qu'ils étaient signe de l'arriération populaire. La consommation est un vecteur de réalisation personnelle alors qu'elle connotait auparavant l'aliénation et la passivité. Le chef d'entreprise est devenu un modèle de conduite alors qu'il était l'emblème de la domination du patron sur l'ouvrier."
"Ce culte inaugurait ainsi de nouvelles mythologies permettant à chacun de s'adapter à une transformation majeure : le déclin de la discipline au profit de l'autonomie. Épanouissement personnel et initiative individuelle sont les deux facettes de cette nouvelle règle du jeu social".
L'individualisme confronte à l'incertain. Chacun doit s'appuyer sur lui-même pour construire sa vie, l'inventer, lui donner un sens. Cela était auparavant limité au élites et aux artistes, "qui se sont les premiers construits autour d'une obligation d'incertitude". Ce mode d'existence est aujourd'hui celui de tout le monde, mais différemment dans les quartiers chics et dans la galère. La référence à soi comme mode d'action est un mécanisme général dans sa diversité : il est autant à l'oeuvre dans l'entreprise, la famille et l'école que dans le renouveau religieux, les groupes mystiques ou ésotériques. Partout l'action légitime se réfère à l'expérience, à l'authenticité, la subjectivité, la communication avec soi, avec l'autre, qu'il s'agisse de trouver Dieu ou un emploi".
Comme l'analyse Anthony Giddens, plutôt que d'individualisme il faudrait parler d'individuation : il s'agit moins d'un repli sur la sphère privée, d'un repli sur soi, que de l'attribution à l'individu du sens de sa vie. Plutôt qu'une perte de repères, il s'agit plutôt d'une multiplication des repères, liée notamment au développement de l'égalité. "Parce que chacun est plus égal, il prend en charge lui-même des problèmes qui relevaient de l'action en commun et de la représentation politique".
La frontière se brouille, la vie privée se modèle sur la vie publique : "un espace où l'on communique pour négocier et aboutir à des compromis au lieu de commander et d'obéir". L'individualisme contemporain est le produit de deux mutations parallèles : privatisation de la vie publique et publicisation de la vie privée. La fin des transcendances (Dieu, le progrès) impose à l'individu de devenir, dans l'incertitude, sa propre transcendance.


L'individu incertain

"Nous codons aujourd'hui une multiplicité de problèmes quotidiens dans le langage psychologique, et particulièrement dans celui de la dépression, alors qu'ils étaient énoncés, il y a encore peu, dans le langage social ou politique de la revendication, de la lutte, de l'inégalité". Nous sommes donc sommés d'être responsables de nous-mêmes à un point jamais atteint dans l'histoire humaine. Cette augmentation de responsabilité nous rend plus vulnérables.
Pour alléger ce poids et faciliter la capacité d'agir, nos sociétés offrent toutes sortes de possibilités que l'auteur regroupe en deux catégories : les moyens d'action sur soi de la pharmacologie (drogues illicites, anxiolytiques, antidépresseurs) et les mises en scène de soi des technologies de la communication (interactivité, reality-shows, cyberespace).
Dans un premier chapitre, Alain Ehrenberg analyse l'usage et les représentations de l'alcool, des drogues et des médicaments ("Sister morphine et Miss Prozac"). Pour comprendre pourquoi l'usage et l'abus sont distingués pour l'alcool et les médicaments, mais pas pour la drogue, pour laquelle un petit euphorisant ou un petit opiacé sont mis au même niveau, il formule une hypothèse audacieuse : c'est le rapport entre vie privée et vie publique qui le détermine. "Les drogues sont un raccourci chimique pour fabriquer de l'individualité, un moyen artificiel de multiplication de soi, qui suscite simultanément la hantise d'une vie privée illimitée, c'est-à-dire d'une société sans espace public, donc invivable".
L'hypothèse centrale d'Alain Ehrenberg est que "la généralisation de la recherche de sensations et le basculement de la télévision dans le terminal relationnel sont symptomatiques des troubles de la distance et de la confusion du public et du privé".


La fatigue d'être soi


"La fatigue d'être soi" est d'abord l'histoire de la dépression. Cette approche historique permet d'éclairer un déplacement fondamental, de la culpabilité à la responsabilité. Ce déplacement suppose l'effacement de la référence au conflit.
La dépression renvoie de moins en moins à la culpabilité et de plus en plus à l'inhibition. Ce n'est plus le refoulement de désirs interdits qui en est l'origine, mais "le poids du possible", la confrontation entre la notion de possibilité illimitée et celle d'immaîtrisable. Alain Ehrenberg cite Wittgenstein : "Tout est devenu si compliqué que, pour s'y retrouver, il faut un esprit exceptionnel. Car il ne suffit plus de bien jouer le jeu ; la question suivante revient sans cesse : est-ce que tel jeu est jouable maintenant et quel est le bon jeu ?". "Quel que soit le domaine envisagé (entreprise, école, famille), le monde a changé de règles. Elles ne sont plus obéissance, discipline, conformité à la morale, mais flexibilité, changement, rapidité de réaction, etc. Maîtrise de soi, souplesse psychique et affective, capacités d'action font que chacun doit endurer la charge de s'adapter en permanence à un monde qui perd précisément sa permanence, un monde instable, provisoire, fait de flux et de trajectoires en dents de scie". Être propriétaire de soi ne signifie pas que tout est possible. La fatigue dépressive a remplacé l'angoisse névrotique. "La dépression et l'addiction sont les noms donnés à l'immaîtrisable quand il ne s'agit plus de conquérir sa liberté, mais de devenir soi et de prendre l'initiative d'agir". "À l'implosion dépressive répond l'explosion addictive, au manque de sensation du déprimé répond la recherche de sensations du drogué". Dépression et addiction seraient donc des pathologies de la responsabilité."

N'ayant pas regardé son oeuvre dans le détail, je ne sais sur quel matériaux il s'appuie. Mais comme il est plutôt âgé j'imagine qu'il en a recueilli assez pour se permettre d'écrire maintenant des bouquins plutôt généraux.
 

Acacia

𝓥𝓪𝓹𝓸𝓾𝓻𝓸𝓾𝓼 𝓢𝓱𝓪𝓭𝓮𝓼蒸気の色合い
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25 Mai 2017
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Merci beaucoup pour ces posts ses sujets de recherche semblent passionnants, il faut que je me renseigne plus sur lui !
Je reconnais pas mal ces réflexions dans ma vie
 

Tridimensionnel

Holofractale de l'hypervérité
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27 Avr 2016
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Oui en particulier l’Individu Incertain semble intéressant pour nous autres usagers de drogues
 

amicale_du_pc

Holofractale de l'hypervérité
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3 Fev 2015
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la fatigue d'être soi plus que la dépression? C'est par une société fermement positionnée... sur mode stand-by !! Il ne suffit plus de vouloir pour pouvoir...Et les risques de l'existence ne dépendent pas que de soi mais sont imposés depuis la planification du contrôle social... Il y a tjs eu des risques mais avant on en portait la responsabilité.
 
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