Contexte
J'ai essayé l'ayahuasca (B. Caapi & P. Viridis) à deux reprises.
Mon premier essai eut lieu il y a cinq ou six ans : j'étais (plus) jeune et (plus) con, j'ai dû me tromper dans le dosage ou la préparation, et n'ai obtenu qu'un léger mal de ventre comme seul effet. Étant donné la légèreté avec laquelle j'appréhendais cette substance à l'époque, l'échec de ma première tentative est sans doute une excellente chose.
Curieusement, je n'ai plus ressenti le désir d'approcher ce breuvage pendant longtemps. J'ai continué à me documenter à son sujet, mais l'idée d'en consommer effectivement m'apparaissait comme un chose à entreprendre dans un avenir indéfini, quand, d'une manière ou d'autre, je sentirais que le moment était venu.
Il y a deux ou trois mois, au sortir d'un rêve étrange et agité, je prends la décision d'essayer à nouveau l'ayahuasca le plus rapidement possible.
Heureusement, il me reste encore 50g de B. Caapi et 50g de P. Viridis de mon expérience passée. Les deux plantes ayant été conservées à l'abri de l'air et de la lumière, je ne m'inquiète pas trop d'une éventuelle dégradation.
J'appelle donc une amie de longue date, assez familiarisée avec divers hallucinogènes, pour lui demander si passer son samedi soir à tricoter dans l'obscurité tout en me surveillant ne la dérange pas trop. Elle accepte gentiment, ce qui me permet de me concentrer sur la préparation.
Cuisine et saveurs exotiques
Il existe pas mal de recettes diverses d'ayahuasca sur internet mais, considérant qu'il n'y aura jamais trop d'informations sur ce sujet, je me permets de retranscrire celle que j'ai utilisée. Même si en raison d'un vomissement prématuré je n'ai pas obtenu un trip particulièrement fort, je suis sûr de son efficacité.
Ingrédients et matériel (pour 1 personne) :
Temps de préparation : +- 24h (peut être réduit de moitié si l'on saute le premier "trempage").
50g Psychotria Viridis
50g Banisteriopsis Caapi
Vinaigre blanc, ou vinaigre de cidre
De l'eau distillée ou de l'eau en bouteille faiblement minéralisée
2 grandes casseroles (ou 1 grande casserole + 1 grand récipient) (j'ai lu à plusieurs reprises qu'il ne fallait pas utiliser de casserole en aluminium; je ne saurais pas dire pourquoi)
1 tshirt ou autre bout de tissu en coton
1 passoire
1. Si votre caapi n'est pas déjà réduit en poudre et se présente sous le forme de gros morceaux de bois brun clair, il convient de le casser en petits morceaux, pour augmenter la surface d'échange avec l'eau. Personnellement, j'ai mis les morceaux de caapi dans un sac en plastique solide, que j'ai posé sur le sol avant d'y aller gaiement avec un marteau. Ce n'est pas très poétique, mais ça fonctionne très bien.
2. Mettre le caapi en petits morceaux et les feuilles de viridis dans une casserole. (Cinquante grammes de feuilles séchées occupent un volume assez important; utilisez une casserole suffisamment grande).
3. Versez assez d'eau pour recouvrir complètement votre matériel, puis rajouter la moitié de la première quantité d'eau (ex. s'il a fallu deux litres pour recouvrir, ajoutez un litre).
4. En fonction de la quantité d'eau que vous avez utilisée, ajoutez le vinaigre (+- 20/30ml par litre d'eau).
5. Couvrir et laisser tremper pendant une nuit.
6. Le matin, enlever le couvercle de la casserole et faites chauffer à feux doux pendent 3 heures, en remuant de temps en temps. Inutile de faire véritablement bouillir l'eau, de légers bouillonnements indiquent une température suffisante. Ceci dit, la DMT semble assez résistante à la chaleur, donc si l'eau se met à bouillir, ce n'est pas particulièrement grave; tout ce que vous risquez, c'est que l'eau s'évapore trop vite.
Si nécessaire, rajouter un peu d'eau.
7. Une fois les 3 heures écoulées, il est temps de filtrer. Pour ce faire, utilisez un vieux tshirt en coton que vous placerez par-dessus une passoire. Faites passer la totalité du liquide dans votre deuxième casserole/récipient et mettez le de côté.
8. Rajoutez la même quantité d'eau que précédemment dans votre première casserole. Ajoutez le vinaigre. Faire chauffer à feux doux pendant 3 heures, filtrez, etc.
Concernant le nombre de "bains" nécessaires, il n'y pas de science exacte, mais on peut légitimement estimer qu'après deux bains/cuissons de 3 heures et un de 2 heures, l'essentiel des alcaloïdes se trouvent maintenant dans le liquide que vous avez collecté. Si vous voulez être vraiment sûr, vous pouvez toujours rajouter un ou deux "bains" de 2 heures, cela ne coute rien...
9. Une fois vos "bains" terminés, vous vous retrouvez avec une casserole pleine de copeaux et de feuilles humides, et un récipient contenant plusieurs litres d'un liquide jaunâtre.
Vous pouvez maintenant vous débarrasser des plantes et chauffer le liquide à feu doux pour le réduire à une quantité buvable.
10. A la fin de ce processus, vous devriez obtenir un liquide brun foncé, relativement "boueux" en fonction de votre filtration.
Expérience
J'ai commencé à cuisiner dans la soirée de vendredi. Le lendemain soir, vers 20h, je dispose de 100-150ml du fameux breuvage. En raison des risques liés aux IMAO, je n'ai rien avalé depuis vendredi midi, excepté un peu de pain blanc et de l'eau.
Mon amie tripsitter arrive, et une heure plus tard j'avale plus ou moins la moitié du liquide. Comme je m'y attendais, c'est franchement mauvais : j'ai réellement l'impression d'ingérer de la boue, l'amertume en plus. Je trouve cela tellement difficile à avaler que je fais une pause; je décide de terminer mon bol plus tard. Je m'assieds en face de mon amie et attends.
Très rapidement, je commence à me sentir franchement mal, empoisonné. La nausée est forte et globale : j'ai l'impression que toutes les cellules de mon corps rejettent la boisson, et pas seulement mon estomac.
J'essaie de me calmer en respirant profondément, de me persuader que oui, je peux garder cette substance dans mon estomac.
Malheureusement, la nausée est trop forte et après cinq à dix minutes (plus ou moins, je n'ai pas pris de notes à ce moment-là), je vomis. J'avais déjà lu que le vomissement lié à l'ayahuasca est assez singulier. C'est le cas : ici aussi, j'ai l'impression que c'est tout mon corps qui, violemment, expulse la boisson.
Peu de temps après, je me sens beaucoup mieux et je me retrouve presque dans mon état normal. Je vais me rasseoir dans le fauteuil, face à mon amie qui tricote paisiblement. Je suis à la fois déçu et soulagé. Ayant vomi si rapidement, je suis persuadé que c'est fini et que je n'aurai absolument aucun effet.
On discute tranquillement, mais petit à petit je me rends compte que j'ai de plus en plus de mal à comprendre ce qu'elle me raconte. Elle me semble de plus en plus lointaine. A nouveau, je ne me sens pas bien du tout. J'ai chaud et froid à la fois, ma tête bourdonne terriblement fort et me semble prise dans un étau. Je m'accroche au fauteuil, persuadé que si je lâche prise, je vais tomber dans une sorte de trou sans fonds.
Je tourne la tête vers ma bibliothèque : les livres fondent sur les étagères, les couleurs se mélangent et coulent les unes dans les autres. Le tout forme une sorte de visage coloré et grimaçant, en recomposition incessante. Ce visage me paraît distant d'une trentaine de mètres. Les dimensions de mon appartement n'ont plus aucun sens. Je baisse les yeux et m'aperçoit que les lignes formées par les lattes de mon parquet se sont incurvées et forment des sortes de tubes qui tournent sur eux-mêmes et se déplacent très rapidement.
A ce moment là, je veux tourner la tête pour expliquer à mon amie ce que je vois. Mais je n'y arrive que très difficilement. J'ai l'impression que le temps s'est figé, est devenu gluant et a perdu sa mobilité. Par conséquent, moi aussi je suis coincé. Je dois pousser le temps avec ma tête, petit bout par petit bout. Je dois absolument créer la quantité de temps nécessaire à l'action que je veux ensuite inscrire dans le temps (tourner la tête). C'est très difficile, tant mentalement que physiquement. Quant mon tripsitter revient enfin dans mon champ de vision, je me sens absolument épuisé.
Je lui dis, difficilement : "Je peux parler?". Cela la fait naturellement beaucoup rire. J'étais persuadé qu'il aurait été absolument impossible de parler. Le simple fait d'entendre ma propre voix me rassure énormément.
J'essaie de continuer à parler, mais je n'arrive à terminer aucune de mes phrases. Son visage est très difficilement reconnaissable : une sorte de masque neutre en plasticine blanche, les traits à peine esquissés.
Petit à petit, le fait de parler et d'être (vaguement) compris en retour me recentre et me calme. Je m'accroche toujours aussi fermement au fauteuil mais j'ai moins peur. Les déformations visuelles deviennent plus douces et lentes. Je me sens revenu dans mon appartement et dans mon propre corps (jusqu'ici j'avais le sentiment que l'entièreté du monde avait été remplacée par autre chose, qui lui ressemblait vaguement mais n'était pas lui. Et que ce quelque chose était le corps gigantesque d'un être très puissant.).
Une bonne heure après avoir vomi, je suis revenu. De légères modifications visuelles subsistent pendant encore deux heures, et je reste assez confus le reste de la soirée; mais c'est devenu tout à fait gérable. Je me sens très calme et très heureux.
Voilà. En comparaison avec une véritable expérience DMT + IMAO, je me doute que ce n'était qu'un très très léger avant-goût...
Pour ce qui est de la tonalité globale de l'expérience, c'était très différent de tout ce que j'avais pu vivre jusqu'ici avec un hallucinogène, et pas du tout amical ni rassurant. Je n'avais pas l'impression d'être moi-même dans un état de conscience modifié, mais plutôt d'avoir été capturé par quelque chose de gigantesque et infiniment puissant, qui pourrait faire voler en éclat l'entièreté de mon être en une fraction de secondes. Je ne contrôlais absolument rien et je me sentais radicalement dépossédé et vulnérable.
Une fourmi qui aurait eu la curieuse idée d'aller se promener sur les flancs d'un volcan en éruption...
Je compte bien remettre ça dans les mois à venir. Mais j'essaierai sans doute cette fois un analogue de l'ayahuasca, type harmala/mimosa, en espérant que j'arrive à garder le tout un peu plus longtemps dans mon estomac...
Excursus
Pas grand chose à voir avec mon expérience personnelle, mais je viens de tomber sur un article récent, selon lequel la DMT agirait aussi sur les neurorécepteurs Sigma-1, et pas seulement sur les récepteurs 5-HT2A...
Cf.
http://www.uwhealth.org/news/psychoacti ... ptor/14330
http://stke.sciencemag.org/cgi/content/ ... /2/61/pe12
http://www.sciencemag.org/cgi/content/a ... 3/5916/934
J'ai essayé l'ayahuasca (B. Caapi & P. Viridis) à deux reprises.
Mon premier essai eut lieu il y a cinq ou six ans : j'étais (plus) jeune et (plus) con, j'ai dû me tromper dans le dosage ou la préparation, et n'ai obtenu qu'un léger mal de ventre comme seul effet. Étant donné la légèreté avec laquelle j'appréhendais cette substance à l'époque, l'échec de ma première tentative est sans doute une excellente chose.
Curieusement, je n'ai plus ressenti le désir d'approcher ce breuvage pendant longtemps. J'ai continué à me documenter à son sujet, mais l'idée d'en consommer effectivement m'apparaissait comme un chose à entreprendre dans un avenir indéfini, quand, d'une manière ou d'autre, je sentirais que le moment était venu.
Il y a deux ou trois mois, au sortir d'un rêve étrange et agité, je prends la décision d'essayer à nouveau l'ayahuasca le plus rapidement possible.
Heureusement, il me reste encore 50g de B. Caapi et 50g de P. Viridis de mon expérience passée. Les deux plantes ayant été conservées à l'abri de l'air et de la lumière, je ne m'inquiète pas trop d'une éventuelle dégradation.
J'appelle donc une amie de longue date, assez familiarisée avec divers hallucinogènes, pour lui demander si passer son samedi soir à tricoter dans l'obscurité tout en me surveillant ne la dérange pas trop. Elle accepte gentiment, ce qui me permet de me concentrer sur la préparation.
Cuisine et saveurs exotiques
Il existe pas mal de recettes diverses d'ayahuasca sur internet mais, considérant qu'il n'y aura jamais trop d'informations sur ce sujet, je me permets de retranscrire celle que j'ai utilisée. Même si en raison d'un vomissement prématuré je n'ai pas obtenu un trip particulièrement fort, je suis sûr de son efficacité.
Ingrédients et matériel (pour 1 personne) :
Temps de préparation : +- 24h (peut être réduit de moitié si l'on saute le premier "trempage").
50g Psychotria Viridis
50g Banisteriopsis Caapi
Vinaigre blanc, ou vinaigre de cidre
De l'eau distillée ou de l'eau en bouteille faiblement minéralisée
2 grandes casseroles (ou 1 grande casserole + 1 grand récipient) (j'ai lu à plusieurs reprises qu'il ne fallait pas utiliser de casserole en aluminium; je ne saurais pas dire pourquoi)
1 tshirt ou autre bout de tissu en coton
1 passoire
1. Si votre caapi n'est pas déjà réduit en poudre et se présente sous le forme de gros morceaux de bois brun clair, il convient de le casser en petits morceaux, pour augmenter la surface d'échange avec l'eau. Personnellement, j'ai mis les morceaux de caapi dans un sac en plastique solide, que j'ai posé sur le sol avant d'y aller gaiement avec un marteau. Ce n'est pas très poétique, mais ça fonctionne très bien.
2. Mettre le caapi en petits morceaux et les feuilles de viridis dans une casserole. (Cinquante grammes de feuilles séchées occupent un volume assez important; utilisez une casserole suffisamment grande).
3. Versez assez d'eau pour recouvrir complètement votre matériel, puis rajouter la moitié de la première quantité d'eau (ex. s'il a fallu deux litres pour recouvrir, ajoutez un litre).
4. En fonction de la quantité d'eau que vous avez utilisée, ajoutez le vinaigre (+- 20/30ml par litre d'eau).
5. Couvrir et laisser tremper pendant une nuit.
6. Le matin, enlever le couvercle de la casserole et faites chauffer à feux doux pendent 3 heures, en remuant de temps en temps. Inutile de faire véritablement bouillir l'eau, de légers bouillonnements indiquent une température suffisante. Ceci dit, la DMT semble assez résistante à la chaleur, donc si l'eau se met à bouillir, ce n'est pas particulièrement grave; tout ce que vous risquez, c'est que l'eau s'évapore trop vite.
Si nécessaire, rajouter un peu d'eau.
7. Une fois les 3 heures écoulées, il est temps de filtrer. Pour ce faire, utilisez un vieux tshirt en coton que vous placerez par-dessus une passoire. Faites passer la totalité du liquide dans votre deuxième casserole/récipient et mettez le de côté.
8. Rajoutez la même quantité d'eau que précédemment dans votre première casserole. Ajoutez le vinaigre. Faire chauffer à feux doux pendant 3 heures, filtrez, etc.
Concernant le nombre de "bains" nécessaires, il n'y pas de science exacte, mais on peut légitimement estimer qu'après deux bains/cuissons de 3 heures et un de 2 heures, l'essentiel des alcaloïdes se trouvent maintenant dans le liquide que vous avez collecté. Si vous voulez être vraiment sûr, vous pouvez toujours rajouter un ou deux "bains" de 2 heures, cela ne coute rien...
9. Une fois vos "bains" terminés, vous vous retrouvez avec une casserole pleine de copeaux et de feuilles humides, et un récipient contenant plusieurs litres d'un liquide jaunâtre.
Vous pouvez maintenant vous débarrasser des plantes et chauffer le liquide à feu doux pour le réduire à une quantité buvable.
10. A la fin de ce processus, vous devriez obtenir un liquide brun foncé, relativement "boueux" en fonction de votre filtration.
Expérience
J'ai commencé à cuisiner dans la soirée de vendredi. Le lendemain soir, vers 20h, je dispose de 100-150ml du fameux breuvage. En raison des risques liés aux IMAO, je n'ai rien avalé depuis vendredi midi, excepté un peu de pain blanc et de l'eau.
Mon amie tripsitter arrive, et une heure plus tard j'avale plus ou moins la moitié du liquide. Comme je m'y attendais, c'est franchement mauvais : j'ai réellement l'impression d'ingérer de la boue, l'amertume en plus. Je trouve cela tellement difficile à avaler que je fais une pause; je décide de terminer mon bol plus tard. Je m'assieds en face de mon amie et attends.
Très rapidement, je commence à me sentir franchement mal, empoisonné. La nausée est forte et globale : j'ai l'impression que toutes les cellules de mon corps rejettent la boisson, et pas seulement mon estomac.
J'essaie de me calmer en respirant profondément, de me persuader que oui, je peux garder cette substance dans mon estomac.
Malheureusement, la nausée est trop forte et après cinq à dix minutes (plus ou moins, je n'ai pas pris de notes à ce moment-là), je vomis. J'avais déjà lu que le vomissement lié à l'ayahuasca est assez singulier. C'est le cas : ici aussi, j'ai l'impression que c'est tout mon corps qui, violemment, expulse la boisson.
Peu de temps après, je me sens beaucoup mieux et je me retrouve presque dans mon état normal. Je vais me rasseoir dans le fauteuil, face à mon amie qui tricote paisiblement. Je suis à la fois déçu et soulagé. Ayant vomi si rapidement, je suis persuadé que c'est fini et que je n'aurai absolument aucun effet.
On discute tranquillement, mais petit à petit je me rends compte que j'ai de plus en plus de mal à comprendre ce qu'elle me raconte. Elle me semble de plus en plus lointaine. A nouveau, je ne me sens pas bien du tout. J'ai chaud et froid à la fois, ma tête bourdonne terriblement fort et me semble prise dans un étau. Je m'accroche au fauteuil, persuadé que si je lâche prise, je vais tomber dans une sorte de trou sans fonds.
Je tourne la tête vers ma bibliothèque : les livres fondent sur les étagères, les couleurs se mélangent et coulent les unes dans les autres. Le tout forme une sorte de visage coloré et grimaçant, en recomposition incessante. Ce visage me paraît distant d'une trentaine de mètres. Les dimensions de mon appartement n'ont plus aucun sens. Je baisse les yeux et m'aperçoit que les lignes formées par les lattes de mon parquet se sont incurvées et forment des sortes de tubes qui tournent sur eux-mêmes et se déplacent très rapidement.
A ce moment là, je veux tourner la tête pour expliquer à mon amie ce que je vois. Mais je n'y arrive que très difficilement. J'ai l'impression que le temps s'est figé, est devenu gluant et a perdu sa mobilité. Par conséquent, moi aussi je suis coincé. Je dois pousser le temps avec ma tête, petit bout par petit bout. Je dois absolument créer la quantité de temps nécessaire à l'action que je veux ensuite inscrire dans le temps (tourner la tête). C'est très difficile, tant mentalement que physiquement. Quant mon tripsitter revient enfin dans mon champ de vision, je me sens absolument épuisé.
Je lui dis, difficilement : "Je peux parler?". Cela la fait naturellement beaucoup rire. J'étais persuadé qu'il aurait été absolument impossible de parler. Le simple fait d'entendre ma propre voix me rassure énormément.
J'essaie de continuer à parler, mais je n'arrive à terminer aucune de mes phrases. Son visage est très difficilement reconnaissable : une sorte de masque neutre en plasticine blanche, les traits à peine esquissés.
Petit à petit, le fait de parler et d'être (vaguement) compris en retour me recentre et me calme. Je m'accroche toujours aussi fermement au fauteuil mais j'ai moins peur. Les déformations visuelles deviennent plus douces et lentes. Je me sens revenu dans mon appartement et dans mon propre corps (jusqu'ici j'avais le sentiment que l'entièreté du monde avait été remplacée par autre chose, qui lui ressemblait vaguement mais n'était pas lui. Et que ce quelque chose était le corps gigantesque d'un être très puissant.).
Une bonne heure après avoir vomi, je suis revenu. De légères modifications visuelles subsistent pendant encore deux heures, et je reste assez confus le reste de la soirée; mais c'est devenu tout à fait gérable. Je me sens très calme et très heureux.
Voilà. En comparaison avec une véritable expérience DMT + IMAO, je me doute que ce n'était qu'un très très léger avant-goût...
Pour ce qui est de la tonalité globale de l'expérience, c'était très différent de tout ce que j'avais pu vivre jusqu'ici avec un hallucinogène, et pas du tout amical ni rassurant. Je n'avais pas l'impression d'être moi-même dans un état de conscience modifié, mais plutôt d'avoir été capturé par quelque chose de gigantesque et infiniment puissant, qui pourrait faire voler en éclat l'entièreté de mon être en une fraction de secondes. Je ne contrôlais absolument rien et je me sentais radicalement dépossédé et vulnérable.
Une fourmi qui aurait eu la curieuse idée d'aller se promener sur les flancs d'un volcan en éruption...
Je compte bien remettre ça dans les mois à venir. Mais j'essaierai sans doute cette fois un analogue de l'ayahuasca, type harmala/mimosa, en espérant que j'arrive à garder le tout un peu plus longtemps dans mon estomac...
Excursus
Pas grand chose à voir avec mon expérience personnelle, mais je viens de tomber sur un article récent, selon lequel la DMT agirait aussi sur les neurorécepteurs Sigma-1, et pas seulement sur les récepteurs 5-HT2A...
Cf.
http://www.uwhealth.org/news/psychoacti ... ptor/14330
http://stke.sciencemag.org/cgi/content/ ... /2/61/pe12
http://www.sciencemag.org/cgi/content/a ... 3/5916/934