Être une non-personne signifie que les gens parlent en face de vous comme si vous n’étiez pas là. S’ils savent que vous les comprenez, cela signifie que vous n’êtes pas assez une personne pour que cela leur importe. Cela signifie entendre les commérages du personnel, disant des choses qu’il n’oserait pas dire en face de vraies personnes. Cela signifie entendre, à votre sujet, leurs points de vue les plus brutaux, prononcés à voix haute, devant vous, sans que la personne en face d’eux soit reconnue en tant que telle. Cela signifie entendre des informations confidentielles au sujet d’autres non-personnes.
Être une non-personne signifie que votre vie n’est pas une vraie vie. Cela signifie être moins bien traitée comparé à la façon dont la plupart des gens traitent leur gerbille de compagnie et avec moins de culpabilité. Cela signifie que votre existence semble emplir les personnes de dégoût et de peur. Les gens vous voient et vous décrivent comme une coquille vide, un corps sans âme, une créature fantastique, ou un légume. Ou bien ils idéalisent votre vie, vous désignant comme un petit ange sur terre. Quelle que soit leur manière de vous désigner, les gens refusent totalement de voir que vous existez.
Être une non-personne signifie être considérée comme non-communicative. Si d’une quelconque façon, une fois tous les trente-six du mois, vous réussissez à communiquer par la parole, ces mots seront perçus sur le registre de la pathologie plutôt que de la communication. Si vous communiquez par écrit, les gens douteront de votre qualité d’auteur.e. Si vous communiquez par votre comportement, vous serez punie, contenue, droguée, ou placée dans un programme de traitement comportemental. Quelles que soient l’intelligence et la complexité du système de communication que vous échafaudez, vous serez décrite comme étant incapable de véritable communication.
Être une non-personne signifie que l’on chasse de votre esprit toute véritable communication. Cela signifie que votre comportement et vos mots, si vous en employez, sont moulés pour s’adapter à ce que les gens veulent ou attendent de vous. Cela signifie avoir ce moule posé sur vous comme une camisole. Cela signifie crier et crier encore à l’intérieur de votre tête que vous êtes une vraie personne, mais rien ne sort. Dans les rares moments où quelque chose sort – une action qui vient de vos désirs plutôt que de votre dressage, l’affirmation orale ou écrite que vous êtes vraiment une vraie personne et que vous vous sentez piégée – vous serez punie, ridiculisée ou ignorée.
Être une non-personne signifie être traitée comme un enfant (ce qui devrait vraiment faire réfléchir les gens sur la façon dont ils voient les enfants), ou, au mieux, comme un animal de compagnie adoré. Cela signifie que si vous faites quelque chose de vrai, important et significatif pour vous, les gens penseront que c’est mignon. Ils ont un rire spécial réservé pour ça. Cela signifie que l’on s’adresse à vous d’une voix généralement utilisée pour les enfants.
Être une non-personne signifie être brutalisée. Une non-personne ne peut pas parler de coups, de viol, de torture et de meurtre. Si elle le fait, elle ne sera pas crue. Une non-personne sait que la loi ne viendra jamais à son aide, pas de la façon dont elle le fait pour les vraies personnes. Si elle meurt, ici, aujourd’hui, entre les mains d’un autre, cela ne sera pas considéré comme un meurtre.
Être une non-personne signifie être négligeable, et interchangeable avec toutes les autres non-personnes dans le monde.
Être une non-personne signifie n’attendre que peu de choses de la vie. Cela signifie être punie ou couverte de honte pour avoir exprimé vos émotions, de l’intérêt pour votre environnement, ou de l’originalité de pensée. Cela signifie que, une fois que vous n’exprimez plus ces choses ouvertement (excepté peut-être à quelques autres non-personnes qui savent ce que vous faites), les gens jettent un œil à votre apparence la plus superficielle et déclarent que vous êtes encore plus une non-personne.
Être une non-personne signifie être haï. Pas toujours de manière manifeste et émotionnelle. Cela signifie que les gens veulent que vous soyez une vraie personne. Ce qui semble une bonne chose, jusqu’à ce que vous réalisiez qu’ils ne croient pas que vous soyez d’ores et déjà une personne. Ils veulent vous façonner en quelqu’un d’autre, ou bien vous utilisent comme un écran de projection pour leurs fantasmes. Parfois, ils vous disent qu’ils veulent retrouver le vrai vous, comme si vous n’étiez pas là. Être une non-personne signifie que votre existence telle que vous êtes est déniée au plus profond niveau par ceux qui vous entourent. Et ceci, être annihilée, constitue la vraie nature de la haine. La rage n’est rien en comparaison de l’annihilation.
Être une non-personne signifie que si vous mobilisez toutes vos capacités, tout ce que vous avez appris au fil des ans, et tentez de défendre vos intérêts par tous les moyens possibles dont vous ayez connaissance, vous serez étiquetée comme manipulatrice, en demande d’attention, ou comme une mauvaise ou difficile cliente. Vous apprenez que les gens aiment travailler avec les bons clients, ceux qui ont été tellement déformés par le fait d’être traités comme des non-personnes qu’ils sont complètement passifs et dociles. Vous souvenant d’avoir été comme ça, vous réalisez que personne au monde ne devrait jamais être déformé à ce point. Mais lorsque vous tentez de vous défendre, d’échapper à cette terrifiante soumission, alors vous êtes étiquetée comme agressive et hostile et êtes traitée en conséquence.
Être une non-personne signifie que vous n’avez pas le droit de vouloir ce que n’importe qui d’autre dans votre situation voudrait.
Être une non-personne signifie être à la merci des théories que d’autres ont sur vous. Cela signifie qu’un jour, peut-être le premier de votre vie, on vous offre la possibilité de communiquer. Et puis on vous la confisque le lendemain une fois que c'est considéré comme une lubie ou une imposture ou tout simplement comme trop gênant pour la routine du personnel. Cela signifie être jetée dans de grandes et affreuses institutions lorsque c’est considéré protecteur, puis séparée de vos amis et envoyée dans de plus petites, mais tout aussi affreuses institutions lorsque c’est considéré progressiste, et enfin isolée de tout le monde dans votre propre appartement lorsque c’est considéré radical, sans jamais prendre en compte vos désirs dans toute cette histoire. Cela signifie être torturée et tuée comme une créature démoniaque, exhibée comme un phénomène de foire, médicalement utilisée comme un animal de laboratoire, et puis torturée et tuée au nom du traitement, de la médecine, ou de la protection, suivant l’époque et la culture.