La vie parisienne est parfois difficile à endosser, quand le plaisir de bousculer des gens dans le métro laisse place à un besoin intense de ralentir, de s'arrêter. J'ai donc profité d'un jour férié et de cours plutôt bien placés pour m'offrir une petite semaine de vacances, loin de la capitale, près de ma famille et de mes amis du Sud.
Un coup de téléphone à NeoNono, et l'affaire est dans le sac : nous décidons de nous rejoindre en voiture à Narbonne, aussi tôt que possible — on a la voiture maintenant, lui s'est acheté une petite Saxo vive et bien portante, moi conduis l'Audi de ma mère, lourde et large mais bien équipée.
On avait parlé, il y a peu, de prendre des acides ; ce rendez-vous serait une bonne occasion de s'en mettre sous la langue.
La seule expérience de prise de LSD que j'avais pu avoir jusqu'alors, n'en était pas vraiment une — j'ai pu rapidement le savoir. C'était il y a quelques années, Nono et un pote à nous avaient chopé des buvards qui hélas étaient éventés. J'en avais pris un demi ("pour voir") et avais ressenti des effets déjà extraordinaires : plein amour pour les sens, distorsions visuelles légères mais contrôlables, grande énergie, closed eyes fractals, etc. J'étais ressorti assez marqué de ce trip, inattendu et très étonnant, guidé en partie par le film Une nuit en enfer.
Je découvris plus tard que ce trip était effectivement dû au LSD, mais... à une très faible quantité certainement, vu la puissance du machin — j'imagine que je devais être en dessous de 20µg.
Bref, nous nous retrouvons en voiture à Narbonne et décidons d'aller voir ailleurs si nous y sommes. Hop hop, un coup de pédale et nous voici paumés à côté d'un petit village audois résidentiel, au milieu des vignes qui forment notre paysage campagnard languedocien. Nos deux voitures finissent côte à côte, au fond d'un petit champ laissé en jachère. Une trace de kétamine et un petit aller-retour à Narbonne plus tard, nous sommes en bonne condition pour se mettre chacun un carton et demi dans la bouche — plus tard, NeoNono estimera la dose à 80µg. La nuit est tombée. L'amertume de la molécule nous fait saliver.
Silence.
Je serai franchement incapable de restituer la chronologie de ce trip. Je serai tout aussi incapable d'en faire ressortir des grandes lignes directrices ou une sorte de trame de fond. Tout au plus pourrai-je essayer de décrire le bordel visuel, spirituel, synesthésique en général, qui n'a pas arrêté de m'assaillir pendant ce début de nuit.
Nous décidons de marcher vers le village, il n'est pas très loin. Arrivés là-bas, je commence à monter sévère. Le décor commence à danser, à se teinter d'une sorte de vie inquiétante, je dirais même d'une certaine autonomie qu'il n'est pas censé avoir ; d'ordinaire, il est fixe, attendu, répond à mes propres règles perceptives, m'obéit. Ce qui est de moins en moins le cas. Ce mini bus respire. Ce palmier est un oursin.
Les distorsions ne sont plus systématiques, comme le provoquent par exemple les 2C ; elles sont désormais issues d'un comportement plus profond, je dirais même plus sincère, en tous cas plus vivant, de la matière qui m'entoure. En fait, je découvrirai pendant le trip que l'acide provoque bien plus que des distorsions visuelles : ils les accompagne d'Imagination, avec un grand I.
NeoNono et moi passons devant une gigantesque épeire. Ce bestiau fait la taille d'un gros pouce, et vient de prendre un malin plaisir à tisser une toile en plein milieu du chemin, piège de plus d'1m² qui se dresse à notre hauteur. Ses trajets sur les fils sont vifs ; elle veut nous bouffer, c'est certain. Nous voyons l'horreur venir — un seul contact non désiré avec cette petite chose peut niquer un trip en moins de deux secondes, nous faire instantanément passer de l'émerveillement le plus total à la terreur la plus traumatisante. Nous nous jurons d'éviter ce chemin.
Nous voici sur le retour vers les voitures. c'est à partir de là, à peu près, que mon trip devient confus dans ma mémoire. Je peux simplement décrire quelques visuels qui m'ont particulièrement impressionné.
Un moment, nous passons devant une vigne. Je ne la vois pas comme tel. C'est simplement un immense tas de feuilles vertes sur fond noir, qui se recroquevillent à toute allure, jaunissent, deviennent monstrueusement piquantes autour de branches hélicoïdales, s'étendent à nouveau alors que la plante change de taille et de forme tous les dixièmes de secondes. Il n'existe, dans mon champ visuel, que cette plante dangereusement changeante et Nono, coloré, qui la touche ! IL LA TOUCHE ! Et me dit calmement :
"C'est une vigne, mec.
— Quoi ? C'est quoi ce truc ?
— Une vigne !"
Pendant ce temps-là, elle avait changé de forme des dizaines de fois, et s'était doucement figé en une gigantesque plante carnivore, chaque feuille arborant des dents blanches sur des gencives rouges sang, regardant NeoNono d'une façon presque enfantine, sympathique. Le décor, autour, réapparait. Il faut partir de là. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment il a pu toucher... saisir... ce truc. Nous marchons un peu sur de l'herbe qui saisit nos mollets en les entourant.
Bien d'autres choses se passent... je ne m'en souviens plus dans l'intégralité. Je sais juste que la trame des fractales qui arborent la moindre des surfaces prend forme, se dessine, en une tonne de motifs différents, parfois très sexuels, toujours drôles. Je vois, en surimpression sur le sol et les objets, une femme se faire franchement troncher par un diable, puis des dessins de mains géométriques, puis autre chose encore... Quand je pisse, c'est une flaque de sang immense qui se forme sous mes pieds.
Une petite ballade, guidée par NeoNono, nous fait franchir certaines limites de la frousse. Nous sommes entourés par une nature dangereuse, malfaisante, bien que, quelque part, sympathique. La vie tout autour a un pouvoir indéniable sur nous, nos perceptions, notre mort, notre sang, notre sexe. Mais nous continuons à avancer.
Nous revenons, et c'est Kraftwerk, dans la voiture, qui donne le ton. Le paysage autour de nous est tout simplement idyllique, profond, coloré, changeant... Le ciel est traversé de raies roses et bleues qui dansent au rythme de Autobahn. Des éclairs déchirent l'atmosphère, comme une sorte de cycle plasmique, de rééquilibrage des charges atmosphériques, de retour à la normale. Il y a un orage au loin. La musique vient de strictement partout. Quand nous coupons l'autoradio, c'est les sons de ce que je vois qui résonnent à plein volume dans mes oreilles, s'organisent en rythmes, en mélodies, en arpèges : mon environnement fait de la musique tout seul ! Et quelle musique...
Un bref moment, pendant le pic, je suis frappé par une déréalisation instantanée, très Salviaesque. Paf, la réalité qui m'entoure prend la forme de triangles qui se répètent, s'organisent autour d'un centre, et voilà que je me mets à tourner autour de ce centre, entre toutes les réalités — identiques mais toutes indépendantes. Honnêtement, pendant un moment, j'ai eu du mal à rentrer dans une de ces réalités, et j'ai eu tout autant de mal à rentrer dans la bonne. Je me suis forcé à ne pas me laisser aller dans cette déréalisation qui m'a paru un peu dangereuse ; oui, pour être honnête, j'ai eu peur d'y rester, perdu entre mon esprit et mes perceptions.
À la radio, nous écoutons des choses folles, dénuées de sens, mais aussi des musiques incroyables (on a pu découvrir, par hasard, le groupe Brandt Brauer Frick, franchement génial ce son).
La redescente est douce. Nous discutons de choses cyniques. C'est agréable. Nous évitons les pensées paranoïaques merdiques, avec succès la plupart du temps. La fumette n'a pas aidé de ce côté-là, je pense — en tous cas, le joint me rend de plus en plus parano, ce qui me fait l'apprécier de moins en moins... c'est dommage...
Avoir écrit tout ça m'a permis de me remémorer un peu mieux le trip, et, ça y est, je peux dégager une trame de fond évidente : l'horreur. Je me souviens d'avoir vu du sang partout, des femmes égorgées, une nature déchainée, des viols, des peurs. Je me souviens d'avoir adoré ça.
Le lendemain fut une journée cynique, où mes pensées vagabondaient dans une sorte de mélancolie très agréable, et un certain dégoût pour les mécanismes de notre monde. Quel bonheur ! J'ai pris du temps libre et agréable avec ma famille, notamment mes grands parents. J'ai pris le temps de les écouter, de les aider. J'étais heureux, patient et détendu. Ça faisait longtemps...
Merci NeoNono, pour ce trip qui m'a, une fois de plus, frappé psychologiquement avec une incroyable force. J'en ai encore la marque dans mon cerveau ; regarde :
Un coup de téléphone à NeoNono, et l'affaire est dans le sac : nous décidons de nous rejoindre en voiture à Narbonne, aussi tôt que possible — on a la voiture maintenant, lui s'est acheté une petite Saxo vive et bien portante, moi conduis l'Audi de ma mère, lourde et large mais bien équipée.
On avait parlé, il y a peu, de prendre des acides ; ce rendez-vous serait une bonne occasion de s'en mettre sous la langue.
La seule expérience de prise de LSD que j'avais pu avoir jusqu'alors, n'en était pas vraiment une — j'ai pu rapidement le savoir. C'était il y a quelques années, Nono et un pote à nous avaient chopé des buvards qui hélas étaient éventés. J'en avais pris un demi ("pour voir") et avais ressenti des effets déjà extraordinaires : plein amour pour les sens, distorsions visuelles légères mais contrôlables, grande énergie, closed eyes fractals, etc. J'étais ressorti assez marqué de ce trip, inattendu et très étonnant, guidé en partie par le film Une nuit en enfer.
Je découvris plus tard que ce trip était effectivement dû au LSD, mais... à une très faible quantité certainement, vu la puissance du machin — j'imagine que je devais être en dessous de 20µg.
Bref, nous nous retrouvons en voiture à Narbonne et décidons d'aller voir ailleurs si nous y sommes. Hop hop, un coup de pédale et nous voici paumés à côté d'un petit village audois résidentiel, au milieu des vignes qui forment notre paysage campagnard languedocien. Nos deux voitures finissent côte à côte, au fond d'un petit champ laissé en jachère. Une trace de kétamine et un petit aller-retour à Narbonne plus tard, nous sommes en bonne condition pour se mettre chacun un carton et demi dans la bouche — plus tard, NeoNono estimera la dose à 80µg. La nuit est tombée. L'amertume de la molécule nous fait saliver.
Silence.
Je serai franchement incapable de restituer la chronologie de ce trip. Je serai tout aussi incapable d'en faire ressortir des grandes lignes directrices ou une sorte de trame de fond. Tout au plus pourrai-je essayer de décrire le bordel visuel, spirituel, synesthésique en général, qui n'a pas arrêté de m'assaillir pendant ce début de nuit.
Nous décidons de marcher vers le village, il n'est pas très loin. Arrivés là-bas, je commence à monter sévère. Le décor commence à danser, à se teinter d'une sorte de vie inquiétante, je dirais même d'une certaine autonomie qu'il n'est pas censé avoir ; d'ordinaire, il est fixe, attendu, répond à mes propres règles perceptives, m'obéit. Ce qui est de moins en moins le cas. Ce mini bus respire. Ce palmier est un oursin.
Les distorsions ne sont plus systématiques, comme le provoquent par exemple les 2C ; elles sont désormais issues d'un comportement plus profond, je dirais même plus sincère, en tous cas plus vivant, de la matière qui m'entoure. En fait, je découvrirai pendant le trip que l'acide provoque bien plus que des distorsions visuelles : ils les accompagne d'Imagination, avec un grand I.
NeoNono et moi passons devant une gigantesque épeire. Ce bestiau fait la taille d'un gros pouce, et vient de prendre un malin plaisir à tisser une toile en plein milieu du chemin, piège de plus d'1m² qui se dresse à notre hauteur. Ses trajets sur les fils sont vifs ; elle veut nous bouffer, c'est certain. Nous voyons l'horreur venir — un seul contact non désiré avec cette petite chose peut niquer un trip en moins de deux secondes, nous faire instantanément passer de l'émerveillement le plus total à la terreur la plus traumatisante. Nous nous jurons d'éviter ce chemin.
Nous voici sur le retour vers les voitures. c'est à partir de là, à peu près, que mon trip devient confus dans ma mémoire. Je peux simplement décrire quelques visuels qui m'ont particulièrement impressionné.
Un moment, nous passons devant une vigne. Je ne la vois pas comme tel. C'est simplement un immense tas de feuilles vertes sur fond noir, qui se recroquevillent à toute allure, jaunissent, deviennent monstrueusement piquantes autour de branches hélicoïdales, s'étendent à nouveau alors que la plante change de taille et de forme tous les dixièmes de secondes. Il n'existe, dans mon champ visuel, que cette plante dangereusement changeante et Nono, coloré, qui la touche ! IL LA TOUCHE ! Et me dit calmement :
"C'est une vigne, mec.
— Quoi ? C'est quoi ce truc ?
— Une vigne !"
Pendant ce temps-là, elle avait changé de forme des dizaines de fois, et s'était doucement figé en une gigantesque plante carnivore, chaque feuille arborant des dents blanches sur des gencives rouges sang, regardant NeoNono d'une façon presque enfantine, sympathique. Le décor, autour, réapparait. Il faut partir de là. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment il a pu toucher... saisir... ce truc. Nous marchons un peu sur de l'herbe qui saisit nos mollets en les entourant.
Bien d'autres choses se passent... je ne m'en souviens plus dans l'intégralité. Je sais juste que la trame des fractales qui arborent la moindre des surfaces prend forme, se dessine, en une tonne de motifs différents, parfois très sexuels, toujours drôles. Je vois, en surimpression sur le sol et les objets, une femme se faire franchement troncher par un diable, puis des dessins de mains géométriques, puis autre chose encore... Quand je pisse, c'est une flaque de sang immense qui se forme sous mes pieds.
Une petite ballade, guidée par NeoNono, nous fait franchir certaines limites de la frousse. Nous sommes entourés par une nature dangereuse, malfaisante, bien que, quelque part, sympathique. La vie tout autour a un pouvoir indéniable sur nous, nos perceptions, notre mort, notre sang, notre sexe. Mais nous continuons à avancer.
Nous revenons, et c'est Kraftwerk, dans la voiture, qui donne le ton. Le paysage autour de nous est tout simplement idyllique, profond, coloré, changeant... Le ciel est traversé de raies roses et bleues qui dansent au rythme de Autobahn. Des éclairs déchirent l'atmosphère, comme une sorte de cycle plasmique, de rééquilibrage des charges atmosphériques, de retour à la normale. Il y a un orage au loin. La musique vient de strictement partout. Quand nous coupons l'autoradio, c'est les sons de ce que je vois qui résonnent à plein volume dans mes oreilles, s'organisent en rythmes, en mélodies, en arpèges : mon environnement fait de la musique tout seul ! Et quelle musique...
Un bref moment, pendant le pic, je suis frappé par une déréalisation instantanée, très Salviaesque. Paf, la réalité qui m'entoure prend la forme de triangles qui se répètent, s'organisent autour d'un centre, et voilà que je me mets à tourner autour de ce centre, entre toutes les réalités — identiques mais toutes indépendantes. Honnêtement, pendant un moment, j'ai eu du mal à rentrer dans une de ces réalités, et j'ai eu tout autant de mal à rentrer dans la bonne. Je me suis forcé à ne pas me laisser aller dans cette déréalisation qui m'a paru un peu dangereuse ; oui, pour être honnête, j'ai eu peur d'y rester, perdu entre mon esprit et mes perceptions.
À la radio, nous écoutons des choses folles, dénuées de sens, mais aussi des musiques incroyables (on a pu découvrir, par hasard, le groupe Brandt Brauer Frick, franchement génial ce son).
La redescente est douce. Nous discutons de choses cyniques. C'est agréable. Nous évitons les pensées paranoïaques merdiques, avec succès la plupart du temps. La fumette n'a pas aidé de ce côté-là, je pense — en tous cas, le joint me rend de plus en plus parano, ce qui me fait l'apprécier de moins en moins... c'est dommage...
Avoir écrit tout ça m'a permis de me remémorer un peu mieux le trip, et, ça y est, je peux dégager une trame de fond évidente : l'horreur. Je me souviens d'avoir vu du sang partout, des femmes égorgées, une nature déchainée, des viols, des peurs. Je me souviens d'avoir adoré ça.
Le lendemain fut une journée cynique, où mes pensées vagabondaient dans une sorte de mélancolie très agréable, et un certain dégoût pour les mécanismes de notre monde. Quel bonheur ! J'ai pris du temps libre et agréable avec ma famille, notamment mes grands parents. J'ai pris le temps de les écouter, de les aider. J'étais heureux, patient et détendu. Ça faisait longtemps...
Merci NeoNono, pour ce trip qui m'a, une fois de plus, frappé psychologiquement avec une incroyable force. J'en ai encore la marque dans mon cerveau ; regarde :
