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Retour d'acide à Varanasi (haschich au chillum)

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12 Avr 2012
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Salut ! Ce TR raconte une de mes expériences les plus marquantes au cannabis, elle s’est déroulée l’été dernier à Vârânasî, en Inde. Mon TR est assez long et parle presque autant de l’Inde que de drogue, c’est plus un carnet de voyage qu’un trip report, en fait. J''espère que ça vous plaira.

J’ai choisi comme titre « retour d’acide à Vârânasî » parce que c’est comme cela que j’ai vécu ce qui m’est arrivé, mais je ne sais pas vraiment ce qu’est un retour d’acide, alors peut-être que ce n’en était pas un, je vous laisse en juger. Avec le recul, je pense qu’il s’agissait d’une « simple » crise de panique... Retour d’acide à Vârânasî, donc. Mais avant tout Vârânasî, c’est quoi ? Ben c'est ça :

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Vârânasî est une ville sainte de l’Hindouisme dédiée au culte du dieu Shiva, elle se dresse sur la rive droite du Gange, le fleuve le plus sacré de l’Inde. Des centaines d’indiens viennent se faire incinérer chaque jour sur les ghâts de la ville pour que leur corps carbonisé puisse ensuite rejoindre les eaux du Gange. Dans la mythologie Hindou, cela est censé mettre fin au cycle des réincarnations qui emprisonne l’âme des hommes sur terre. On peut décomposer Vârânasî en trois zones. La ville à proprement parler est comme toutes les grandes villes indiennes, elle est sale, bruyante, surpeuplée et sans grand intérêt. Quand on approche du fleuve, on pénètre dans un dédale de ruelles plutôt agréable où se concentrent les maisons d’hôtes et les restaurants pour touristes. Quand on en sort, on parvient enfin au cœur de la ville : les ghâts. Les ghâts sont des marches disposées le long de la rive du Gange. Ils sont comme un lien matériel entre le monde profane et celui de l’esprit. Des milliers d’indiens viennent s’y laver, manger et prier ; certains y dorment même la nuit.


Premières approches



Lorsque j’arrive à Vârânasî, je voyage en Inde avec un couple d’amis (disons Clément et Mélanie) depuis presque un mois. Après l’Inde, nous avons prévu de nous rendre à Dubaï, en Iran, puis de rentrer en France en auto-stop. Dans ma tête, c’est un peu la route des hippies à l’envers. J’attendais beaucoup de mon séjour à Vârânasî… et merde, je n’ai pas été déçu.
Le trajet entre la gare et les ghâts a été horrible. Il est midi et nous avons décidé de ne pas prendre de tuk-tuk mais d’y aller à pieds. La chaleur est presque insoutenable et le bruit continu des klaxons vrille nos tympans. Après deux heures à peiner sous le soleil, nous arrivons enfin à proximité des ghâts. Manque de chance, un jeune Indien nous alpague et décide de ne plus nous lâcher d’une semelle avons que nous n’acceptions de dormir dans l’auberge qu’il représente. Je ne suis pas contre l’idée de le suivre mais Clément refuse catégoriquement de se laisser « embobiner » par un démarcheur. Le ton monte, la fatigue aussi… et le soleil continue de taper impitoyablement sur nos cranes. Quand nous parvenons au bord du Gange, la tension est à son comble : Mélanie fond en larme. Je décide alors de prendre les choses en main et je réussis à nous débarrasser de l’Indien en le menaçant d’en venir aux mains - c’est triste d’en arriver là mais je n’ai aucun regret. Pendant que Clément s’occupe de Mélanie, je sors une bouteille d’eau de mon sac, vide son contenu sur ma tête et m’effondre à l’ombre des tourelles qui surplombent les ghâts. Je suis à deux doigts de l’insolation. Le bleu du ciel est aussi tranchant que la lame d’un rasoir et je sens l’humidité de l’air enserrer mon corps ; en riant je dis : « Les gars, je crois que je fais un retour d’acide ! ». Si j’avais su…
Nous réussissons finalement à trouver une maison d’hôte convenable. Après une petite sieste, je décide de retourner tout seul sur les ghâts, j’ai envie de les redécouvrir avec un regard plus apaisé. Il y davantage de monde qu’auparavant mais la chaleur retient encore une bonne partie des indiens et des touristes chez eux. Alors que je longe tranquillement les ghâts, un Indien arrive à ma hauteur et engage la conversation. Il se présente comme un enseignant et me raconte l’histoire de Vârânasî. Il me propose de venir boire un thé chez lui, je décline son invitation et lui demande s’il veut de l’argent. Il prend un air offusqué et m’invite à descendre les marches du ghâts le plus proche. Lorsque nous parvenons au fleuve, il me lance un peu d’eau au visage et marmonne quelques phrases incompréhensibles sous le regard amusé de nos voisins. Il me donne ensuite une pierre noire en m’affirmant qu’elle me permettra de gagner beaucoup d’argent une fois rentré en France. Je lui tends les quelques billets qu’il finit par me réclamer et le laisse aussitôt. Je jette son grigri dans le fleuve, je ne suis pas superstitieux…

Alors que je m’apprête à quitter les ghâts pour m’engouffrer dans les ruelles attenantes, un vieux sâdhu assis face au fleuve me fait signe d’approcher. Beaucoup de sâdhus vivent à Vârânasî. Les sâdhus sont une caste de moines itinérants qui ont décidé de quitter leur vie et leur famille pour se consacrer exclusivement à la méditation. Les sâdhus sont nombreux en Inde et la plupart d’entre eux vivent dans des conditions très précaires. Certains sâdhus ont choisi ce mode de vie pour échapper à une situation personnelle intenable, d’autres, par intérêt sincère pour la spiritualité. Je trouve qu’il est très difficile de les comprendre d’un point de vue occidental. Pour être franc, ils me font un peu peur… J'accepte néanmoins l'invitation du vieil homme. Le sâdhu me parle de sa jeunesse à Vârânasî puis me récite quelques beaux vers d’un poème qu’il a composé sur sa ville natale. Soudain, il est pris d’une violente quinte de toux ; son visage s’empourpre et il m’annonce qu’il a de l’asthme et qu’il a besoin d’argent pour acheter des médicaments. J’ai le sentiment désagréable d’avoir été trompé. Je me lève d’un bond et, sous son regard effaré, je pars. Je n’ai pas parcouru dix mètres lorsqu’un un homme à la moustache grisonnante s’approche de moi pour m’expliquer que le sâdhu auquel je viens de parler est un saint, et qu’il est de mon devoir de lui venir en aide. Pris d’une lassitude extrême, je retourne sur mes pas et lui tend quelques billets… J’étais venu à Vârânasî pour découvrir un lieu spirituel et fort mais je n’avais été confronté qu’à des gens intéressés par mon argent. Vârânasî est comme toutes les métropoles indiennes, ce n’est qu’un leurre. C’est sur ces mornes réflexions que je rentre à la maison d’hôte.


Mystique Indienne



Quelques heures plus tard, je me rends sur le ghâts principal pour assister à une cérémonie dédiée à la déesse du Gange. A mon arrivée, il y a déjà énormément de monde ; les femmes ont revêtu leurs plus beaux saris et les hommes sont engoncés dans leurs petites chemises rayées. Assis à une distance raisonnable, quelques sâdhus observent la foule d’un air distant. Je décide de m’éloigner du ghâts principal pour m’installer sur une petite plateforme bondée qui surplombe le Gange. Je réussis à me faufiler derrière deux sâdhus totalement indifférents à ma présence. Quelques instants plus tard, une mélodie résonne dans l’air. Des musiciens se frayent un chemin parmi la foule et, au bord du fleuve, les brahmanes se saisissent de leurs instruments sacrés. Le soleil commence à se coucher, la cérémonie peut commencer. Les prêtres psalmodient des chants rituels sous le regard attentif des hindous, ils lèvent des encensoirs en l’air et s’agenouillent ensuite face au fleuve. Le rituel est très simple, mais sa constante répétition et la ferveur dans les yeux des croyants lui confère quelque de beau et de très vrai. Face à moi, un touriste occidental mitraille la scène avec son appareil photo. Je ne peux pas m’empêcher de plaindre la vanité de sa démarche. Il espère capturer un instant qui ne peut se vivre qu’à la première personne : au moment même où il veut se saisir du réel avec son appareil photo, il s’en coupe irrémédiablement. Il ne gardera de ce rituel sacré que des « photos de vacances », auxquelles se substitueront de nouvelles photos de vacances, auxquelles se substitueront de nouvelles photos de vacances…

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Le soleil est en train de disparaitre à l’horizon lorsque le ciel se met à rougeoyer d’une façon intense, mon regard se détache alors de la cérémonie pour se perdre dans les nuages. En un instant, j’ai l’impression de me déprendre de moi-même et de disparaître dans les cieux. C’est effrayant, je jubile mais je peine à comprendre ce qui m’arrive. Je ne cesse de me demander si ce que je vis est bien réel. Les couleurs du ciel ne peuvent pas avoir une telle profondeur, ce n’est pas normal. Mon corps vibre et je suis saisi d’une excitation insoutenable. Si la mystique est réelle, je ne l’ai jamais autant approchée qu’à cet instant précis. Mon regard croise alors celui d’un Indien assis à mes côtés. Il ressemble à un fonctionnaire trentenaire, bedonnant, un rien médiocre. Je lui montre d’un geste extatique le fleuve, le ciel et la cérémonie ; nous éclatons de rire et il me dit, en pointant du doigt le Gange : « look ! its my mother ». Un peu plus tard, il m’offrira une tasse de thé.

Lorsque la cérémonie se termine, je salue mon nouvel ami et je me dirige vers la maison d’hôte. En chemin, je vois de jeunes adolescents se dévêtir pour se baigner dans le Gange. Je décide de les imiter. J’ai conscience du caractère dérisoire de mon action, je joue à l’indien, je joue à me purifier dans le fleuve le plus pollué du monde ; mais je viens de vivre quelque chose de fort, et je veux ancrer cette expérience en moi le plus profondément possible. Quel que soit ce que j’ai débuté en arrivant à Vârânasî, je veux le mener à son terme. Après m’être déshabillé, je m’immerge dans l’eau du fleuve et je fais quelques mouvements de brasse pour m’éloigner du bord, puis, je me je laisse flotter en silence dans le calme de la nuit. En sortant du Gange, je ne prends pas la peine de me sécher, je me rhabille directement avant de m’asseoir sur la rive pour regarder les derniers baigneurs. L’atmosphère est magique. Je suis dans un conte des mille et une nuits. Un indien d’une vingtaine d’année assis à côté de moi engage alors la conversation. Son anglais est excellent – bien meilleur que le mien – j’apprends qu’il travaille dans les ressources humaines à Bombay et qu’il a fait des études de commerce à Dubaï. Son mode de vie occidental me permet d’avoir une conversation sincère avec lui, il n’y a pas cette asymétrie malheureuse mais inévitable qui caractérise les relations entre les touristes et les indiens « normaux » (c'est-à-dire pauvres...) Assez vite, il me demande ce que je pense de Vârânasî. Je lui réponds que ma première impression de la ville n’était pas bonne mais que j’ai changé d’avis, Vârânasî regorge de spiritualité : quand les rabatteurs s’en vont, c’est comme si tout le monde priait. Je vois dans son regard que je l’ai déçu, il me rétorque d’un ton sec et un rien moqueur : « Peut-être. Mais moi, tout ce que je vois, ce sont des gens qui vivent dans la misère. De nombreuses personnes n’ont même pas accès à l’eau potable et sont forcées de se laver dans le Gange… ». Je ne sais pas quoi répondre car, en un sens, il a parfaitement raison. Nous échangeons encore quelque paroles puis repartons chacun de notre côté.

Alors que je ne suis plus qu’à une centaine de mètres de la maison d’hôte, un sâdhu assis sur un promontoire en pierre me fait de nouveau signe d’approcher. D’abord réticent, je décide d’accepter son invitation. Il me demande d’enlever mes sandales avant de le rejoindre sur son tapis. Il m’offre quelques biscuits, puis, à ma grande surprise, se désintéresse de moi pour discuter de nouveau avec un de ses compagnons. Au bout de quelques minutes, il semble se souvenir de ma présence. Il se présente alors sous le nom de « Baba ». Il me parle des rapports entre l’âme et le corps, il m’explique aussi que les différences entre les hommes ne sont que contingentes et qu’en réalité, nous sommes tous « the same ». Il ajoute qu’il n’a pas besoin d’argent mais que si j’ai un peu d’alcool ou de haschisch, il aura plaisir à en consommer avec moi. En discutant avec lui, je repense avec un brin de dédain à la façon dont nous nous représentons le Yoga en Europe. L’occident se l’est réapproprié et en a fait une technique de développement personnel presque lisse. Mais le vrai Yoga est dangereux, voire méchant. C’est l’affaire des fous, des mystiques, des drogués et des clochards célestes. Quand Baba parle de Yoga et d’harmonie, il ne parle d’être en accord avec soi-même ou son environnement : il parle de s’unir au principe Ultime de la Réalité. Et pour lui, ce n’est pas une métaphore.


Passons aux choses sérieux, la drogue


Après avoir quitté Baba, je rentre à la maison d’hôte où je retrouve Clément et Mélanie. Il est déjà tard et nous décidons de nous coucher. Je m’étends dans mon lit mais je ne parviens pas à trouver le sommeil. Après une bonne heure passée à me retourner dans tous les sens sous mes couvertures, j’annonce à Clément qui ne dort pas non plus que je vais me promener sur les ghâts pour voir à quoi ils ressemblent la nuit. Avec le recul, je pense que je savais pertinemment pourquoi je voulais visiter les ghâts la nuit … mais c’est pourtant le plus innocemment du monde qu’à minuit, j’ai enfilé mes sandales pour m’enfoncer dans l’obscurité indienne…

A cette heure, les ghâts n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient dans la soirée. Les indiens qui étaient venus assister aux cérémonies du coucher du soleil sont rentrés chez eux depuis longtemps. Le ghâts principal est maintenant un dortoir à ciel ouvert où une centaine de mendiants et de sâdhus (la différence est parfois infime) dorment à même le sol. L’ambiance est pesante. Je ne m’attarde pas et continue de longer les ghâts jusqu’à une plateforme en bois légèrement surélevée sur laquelle des hommes discutent et fument du haschisch. Je me souviens en particulier d’un sâdhu à la peau foncée, dont les longues dread se mêlaient aux habits rapiécés et qui inhalait lentement du haschisch dans un bang en forme de crâne humain. Je m’arrête et regarde rapidement autour de moi : je ne suis pas à ma place, il est temps de rentrer. Alors que je m’apprête à rebrousser chemin, un indien adossé à une balustrade me demande si je cherche de la drogue. Il sait pourquoi je suis là, et maintenant, je sais aussi pourquoi j’ai fait tout ce chemin. Je n’ai pas d’argent sur moi ; je m’apprête à décliner son offre d’un geste de la main mais, comme je l’espérais secrètement, il me propose de fumer du haschisch avec lui et ses amis. Ses « amis » sont des hommes d’âge moyen à l’allure peu rassurante. Le visage de l’un d’entre eux est déformé par un rictus grotesque qui le fait ressembler à un personnage de cartoon. Après une courte discussion, je décide néanmoins de leur faire confiance. Nous partons à cinq nous asseoir en contrebas, face au fleuve. Mon « dealer » se présente alors sous le nom d’Ardash, il m’explique qu’il est venu faire du tourisme à Vârânasî avec ses collègues. Ardash sort un petit instrument de son sac et me le montre avec un grand sourire : voilà le fameux chillum Indien. Et moi qui pensais naïvement qu’il allait rouler un joint…
Après avoir laissé fumer ses amis, Ardash place l’instrument en face de mon visage. Lorsque le tissu humide entre en contact avec mes lèvres, je prends une longue inspiration et je sens la fumée brûlante se répandre dans mes poumons. Je m’apprête à prendre une seconde bouffée lorsqu’il range précipitamment le chillum dans son sac, apparemment, un policier s’approche de nous. Mon rythme cardiaque s’accélère mais j’essaie de rester calme, je n’ai pas de cannabis sur moi, je n’ai rien à me reprocher. Au bout de quelques minutes, la tension retombe et Ardash sort de nouveau le chillum de son sac. Après que ses amis aient tous pris une nouvelle bouffée, il me le présente de nouveau. Comme je ne sens pas encore les effets de ma première prise, je fais quelque chose d’incroyablement stupide, je prends quatre longues bouffées à la suite avant de lui rendre le bang. Ardash me regarde d’un air impressionné et murmure en riant « Indian style ! ». En me montrant le Gange, il ajoute que c’est Shiva qui, en cette heure et en ce lieu, nous a réunis tous ensemble : « Shiva unit us »...

Les propos d’Ardash résonnent moi d’une façon anormalement puissante. Ardash continue de parler et me demande ce que je compte faire le lendemain : il me propose de faire un tour en ville avec lui. Quelque chose ne va pas. Et merde, je viens de comprendre : il me tend un piège. Demain, quand je le rejoindrai en ville, il m’attendra avec des policiers et je serai forcé de leur donner de l’argent pour qu’ils me laissent repartir. Ça ne va pas. Pourquoi ai-je été assez stupide pour consommer du cannabis avec des gens que je ne connais pas ? Je sais pourtant bien à quel point l’Inde peut être un pays dangereux… C’est tout moi ça… Je suis en danger. Soudain, quelqu’un s’approche de nous, il me demande ce que je pense de son Haschisch. Je ne comprends pas sa question, ce n’est pas lui qui m’a fait fumer, c’est Ardash. Il continue : « alors comme ça, tu dors à la guesthouse X ?» « … Comment tu le sais ? » « … Tu me l’as dit tout à l’heure ! » C’est peut-être vrai, peut-être que je lui ai parlé avant que nous ne descendions sur la rive, avec Ardash… mais son regard me déplaît, il est mauvais. Quelque chose ne va pas. Je flaire le piège : il faut que je m’en aille avant qu’il ne referme sur moi, où que la parano ne me submerge, je ne suis pas sûr... En tout cas je dois partir. Je parviens péniblement à me relever. Mes jambes tremblent. Ardash insiste, il veut savoir si je serai là demain, ce serait dommage qu’on ne passe pas plus du temps ensemble, il aimerait bien avoir des amis occidentaux… il faut absolument que je m’en aille. Je bredouille un semblant d’excuse en le regardant à peine et en partant, j’entrevois une dernière fois le rictus figé de son ami - comme un petit avant-goût des ténèbres qui m’attendent.


Lost in translation



J’ai fait le bon choix. Je vais rentrer à la maison d’hôte et tout ira bien. Je marche le plus vite possible mais déjà, le sol se dérobe sous mes pas. L’air a une densité incroyable, il est presque palpable et étouffe les sons. Je suis embourbé dans une grande nappe de coton qui m’isole de la réalité, dans une cage mentale au silence assourdissant. Un petit bruit d’animal vient rompre ce silence sépulcral, il me dérange, il est trop aigu, trop vif, trop présent. De l’autre côté du Gange, il n’y a rien, juste une vaste plage de sable fin. J’ai l’impression que Shiva s’y dresse, fier, invisible, puissant. Son visage se confond avec les étoiles. J’accélère le pas. Je continue de jeter des regards furtifs à ma droite pour savoir quand est-ce que je dois quitter les ghâts et m’enfoncer dans les ruelles mais je ne reconnais rien, les façades des bâtiments se ressemblent toutes : elles sont gigantesques et forment une barrière infranchissable entre moi et le reste de la ville. Je me sens minuscule... Sans m’en apercevoir, j’ai déjà trop marché. Je regarde le fleuve, sur la rive, des indiens s’affairent autour de petites embarcations en bois. C’est beau, leurs gestes ont quelque chose de nostalgique, d’immémorial. Comme un coup de poing au ventre : mais où est-ce que je suis, bordel ?! Je ne reconnais rien, tout m’effraie, c’est si loin, si loin de ce que j’ai l’habitude de voir et de vivre. Le moindre grain de poussière prend une proportion terrifiante. Je retourne sur mes pas et continue d’accélérer, les bâtiments sont toujours identiques, les mêmes, les mêmes, les mêmes ! Je repars de nouveau dans le sens inverse, je suis comme perdu entre deux miroirs : je répète inlassablement les mêmes gestes, je suis inlassablement renvoyé aux mêmes réalités… Une sensation étrange s’empare de moi : j’ai l’impression que ce que je suis en train de vivre n’est pas réel, que je suis seulement englué dans un rêve. Je ne peux pas réellement m'être perdu à Varanasi seul, la nuit, en Inde et sous THC... Peut-être que c’est ce que ressentent les soldats lorsqu’ils font face à la mort sur le champ de bataille… Au fond de moi, une petite voix me chuchote alors de m’allonger pour reprendre mes esprits – je l’écoute. Je m’étends misérablement contre les marches d’un escalier et j’essaie de me calmer. Un silence. Je ne peux plus bouger, mon cœur bat tellement vite qu’il me fait presque mal.

Et c’est à cet instant qu’il apparait à une petite dizaine de mètres de moi. Je ne sais pas pourquoi mais je devine tout de suite qu’il est un policier. Je me souviens de ce que m’avait dit ma mère avant mon départ : « Attention FluxRSS, pas de drogue ! » J’ai envie de rire et de pleurer. Je le vois approcher et je ne peux rien faire pour partir, c’est horrible. Le policier me surplombe maintenant de toute sa hauteur. Je suis étendu au sol et il me toise du regard. Il me demande mon nom, je lui réponds. Il me demande mes papiers, je lui dis que je ne les ai pas. Je décide de tenter le tout pour le tout et, dans un sanglot, j’ajoute « I smoke something, I though it was tabacco… ». C’est dérisoire… Le policier s’exclame alors « you smoke ? » Je ne réponds pas. « Where do you sleep ? » « … sorry ? » « what is the name of your guesthouse ? » Je ne dois pas lui répondre, s’il sait où je dors, alors il aura accès à mes papiers d’identité et il pourra m’envoyer en prison. Je lui donne le nom d’un hôtel qui, dans mes souvenirs, se trouve à proximité du mien. Le policier se retourne et hèle un jeune homme qui marche un peu plus loin. Horreur, je suis persuadé qu’il s’agit de l’homme qui m’avait demandé plus tôt ce que je pensais de son haschisch et avait déclenché chez moi une crise de paranoïa... J’avais donc raison de me méfier, ils travaillent ensemble… Après ça, mes souvenirs sont confus. Le jeune homme savait où se trouvait l’hôtel que j’avais indiqué au policier, il me montre d’un geste de la main un grand escalier qui s’engouffre dans la ville. Je me relève tant bien que mal et, à ma grande surprise, le policier me fait signer de partir. J’approche des escaliers (qui n’étaient qu’à une quinzaine de mètres de là où je m’étais allongé) et je réalise que ce sont les escaliers qui mènent à ma maison d’hôte… Putain, mon cerveau enfumé s’est bien fichu de moi…

J’avale à une vitesse phénoménale les petites ruelles étroites qui doivent me conduire à la maison d’hôte. Quand j’y parviens, je tambourine violemment contre la porte mais personne ne m’ouvre. Je suis tellement paniqué que je me mets à hurler, la voix brisé par les sanglots, qu’on me laisse rentrer. Soudain, un indien revêche apparait à une des fenêtres et me montre méchamment du doigt une porte à quelques dizaines de mètres de là… Oups, je crois que j’ai confondu les bâtiments… Je réussis à trainer ma carcasse chancelante jusqu’au bon endroit et on m’ouvre rapidement. Je suis tellement perdu que j’essaie même de justifier mon état pitoyable auprès de l’employé qui s’occupe d’ouvrir la porte aux touristes la nuit… Quand j’arrive enfin dans ma chambre, Clément voit tout de suite que je ne suis pas bien. Le lendemain, il m’a expliqué que j’étais pâle comme un mort, que mon corps était parcouru de spasmes musculaires… Je lui raconte très succinctement ce qui vient de m’arriver et je me réfugie au fond de mon lit. Comme je sais que je ne suis pas en état de dormir, je décide de regarder un film. J’espère pouvoir focaliser mon esprit dessus et ne pas me laisser happer par les effets mentaux ravageurs du cannabis…


"L'ouverture d'esprit n'est pas une fracture du crâne"



Bien sûr, c’était peine perdu. Je m’étais échappé de Vârânasî, mais je ne pouvais pas m’échapper de moi-même. Après une courte réflexion, je décide de regarder Samsara. C’est un documentaire contemplatif que je conseille à tous les amateurs de cinéma. Il oppose les créations spirituelles de l’être humain aux monstruosités chimériques du capitalisme financier. Je l’avais vu quelques jours plus tôt, quand nous étions à Calcutta, et j’étais curieux de savoir ce qu’il donnerait sous cannabis. En plus, j’étais dans un tel état de détresse psychologique que je ne voulais pas prendre le risque de regarder un film que je n’avais pas déjà vu. Absurde. Mais personne n’aurait pu me faire changer d’avis. Je lance donc le film mais bien vite, je fais face à un problème terrible. Chaque scène du film (en Inde, dans les abattoirs, au Tibet…) me semble référer directement à mon existence : tout ce que je vois est une représentation symbolique de mes actions ou de mon moi passé… Quand j’aperçois une image de Dubaï à l’écran, c’en est trop, je craque. Je serai à Dubaï dans quelques semaines, j’ai l’impression que « Samsara » est sur le point de *prédire* mon avenir. Je ne suis pas totalement dupe de cela, mais je sais que si continue le visionnage du film, toutes les images liées à Dubaï viendront s’imprimer en moi pour dessiner la carte mentale de la suite du voyage… A la réflexion, je ne suis pas en état de regarder un film.... Je décide de lancer une playlist de rock psychédélique et, fier d’avoir réussi à ne pas me laisser submerger par mon trip, je lâche prise… Erreur.

Je ferme les yeux. Le rock endiablé de Jefferson Airplane me traverse de part en part. Lorsque la musique accélère, de superbes CEV en forme de fractales apparaissent. Je nage en plein délire psychédélique. Par une série d’associations d’idées absurde et typique du THC, je me mets à réfléchir à la manière dont nous percevons la réalité. Dans la Critique de la Raison pure, Kant explique que nous ne pouvons pas accéder au monde en soi mais seulement à la réalité phénoménale. La réalité phénoménale, c’est le monde tel que nous, les hommes, l’appréhendons à partir d’une série de structures présentes en nous de manière innée. (la causalité, la substance, etc.) Je repense alors à la célèbre citation de William Blake « Si les portes de la perception étaient nettoyées, les choses nous apparaîtraient telles qu’elle sont, infinies ». Le lien avec Kant me semble évident. Kant pensait que l’homme ne pourrait jamais connaitre les choses en soi ; pour lui, la connaissance passait par la Science et concernait uniquement le monde phénoménal. Ceux qui prétendaient connaitre le monde « en soi » n’étaient que des métaphysiciens égarés ou des mystiques fous. Mais Kant se trompait. Grâce à la méditation ou aux drogues, les hommes peuvent détisser les structures qui conditionnent leur perception de la réalité et donc accéder à la réalité Pure. Bingo ! Un pétard, une expérience mystique, l’Ôm primordial. Et soudain, tout fait sens. Mon séjour à Vârânasî est le récit d’une ascension spirituelle grandiose. J’ai assisté aux cérémonies du coucher du soleil, j’ai dialogué avec un sage, je me suis purifié dans le Gange et maintenant, mon esprit incarné ne fait plus qu’un avec le monde. Je suis celui qui est.

Et je rouvre les yeux. Merde… Les hallucinations ne disparaissent pas. Mon champ de vision est infesté de petites fractales lumineuses qui tournoient sur elles-mêmes. J’entends un halètement en provenance du lit de Clément et Mélanie. J’ai l’impression qu’ils sont en train de faire l’amour. Je réalise que ce n’est pas le cas et que je suis probablement en train d’imaginer ce bruit… Ou de le faire moi-même ? Et ces idées étranges… Mince, c’est quand même tordu. Mon cœur s’accélère : je ne suis pas en train de faire un retour d’acide, au moins ?! Et soudain, tout fait sens. Ce midi, quand nous sommes arrivés aux ghâts, je me suis effondré sur le sol à cause d’un début d’insolation. J’ai dit en plaisantant que j’étais en train de faire un retour d’acide… mais c’était le cas ! Depuis ce midi, je suis perché ! Je ne m’en étais pas rendu parce que je projetais sur Vârânasî ce qui se passait en réalité en moi ! Merde... Ça va durer encore longtemps ? En plus, le policier qui m’a trouvé sur les ghâts sait probablement où je dors, c’est pour ça qu’il m’a laissé partir… Demain, il m’attendra à l’accueil avec ses collègues, et là… Je suis tellement stupide… Fichu pour fichu, je n’ai plus qu’à attendre que ça passe… Je pense à ma vie en France, à mes amis, ça me fait du bien.
Mes pensées s’attardent sur Joséphine, une amie maniaco-dépressive. La dernière fois que je l’ai vue, elle était en pleine crise maniaque. Ses parents l’avaient laissée nous rejoindre à une soirée. Elle n’avait ni bu ni fumé mais elle était la plus excitée d’entre nous. Elle parlait à tout le monde et ses yeux pétillaient d’un bonheur insoutenable. Un peu avant qu’elle ne parte, elle avait pris mes mains entre les siennes et les avait posées contre son cœur. Elle m’avait demandé si je ressentais l’amour qui nous uni tous en ce monde. J’étais ivre. J’ai éclaté de rire et je lui ai répondu qu’elle me faisait penser à moi lorsque je suis sous LSD … Mais pourquoi est-ce que je repense à cette histoire dans un moment pareil ? Et soudain, tout fait sens. Un retour d’acide ? Quelle naïveté. Le problème est bien plus profond que cela. Tu peux être fier de toi, FluxRSS, à force de jouer avec ta cervelle, tu t’es fracturé l’esprit. Tu ne fais pas un retour d’acide non, tu es en train de vivre ta première crise maniaque. Au lycée, tu étais un athée, et maintenant quoi ? Tu partages les errances qui massacrent l’esprit de ton amie Joséphine. Papa, Maman, pardon. Je suis à Vârânasî depuis moins de vingt-quatre heures est la situation est déjà catastrophique. J’ai enfoncé les portes de la perception et l’infini me regarde d’un œil torve. Je m’approche pas à pas de la folie mais tout cela n’est pas bien grave car dès demain, j’irai croupir au fond d’un cachot…


… Les policiers… le cachot… Les policiers et la pensée en fractale, les souvenirs, les associations d’idées et la sensation de ne faire qu’un avec le monde… les révélations mystico-philosophiques… tout se mélange dans mon cerveau en surchauffe qui tente péniblement de comprendre ce que tout cela peut bien vouloir dire…. Et si ? Non, ce n’est pas possible…
Et si… ?
Merde…
Putain…
Et si…
Et si j’étais tout simplement COMPLETEMENT DEFONCE ???!!!!

Oh. Cela expliquerait bien des choses.
Et ma respiration se calme. J’arrive à prendre de la distance, du recul. Je parviens à dissocier mon « moi réel » de mes états mentaux de plus en plus terrifiants. J’ai trop fumé de cannabis, peu importe ce que je pense ou ce que je crois être en train de se passer, je dois dormir, pour le reste, j’aviserai demain. Et c’est comme ça que je me suis endormi, toujours fébrile, anxieux, mais en ayant réussi à renouer le lien ténu entre ma consommation de cannabis et ce que j’avais ressenti en moi. Oui, tout ça, c’est parce que j’ai fumé, rien d’autre… Dors, maintenant.


Et ensuite...



Le lendemain, les policiers ne m’attendaient pas à l’accueil, ni en face, dans la rue. Par mesure de précaution, et parce que j’étais encore très choqué, je n’ai pas quitté ma chambre avant la tombée de la nuit. Je n’ai jamais revu Ardash ni aucun de ses camarades. Quelques jours plus tard, j’ai parlé de ma mésaventure à baba, le yogi décadent, mais on ne s’est pas très bien compris, en fait, je crois qu’il ne se souvenait pas de moi.
Un matin, je me suis levé très tôt et je suis de nouveau descendu aux ghâts. L’air était frais, un rien acide ; il mordait au visage mais c’était une morsure qui me remplissait d’énergie. Les ghâts grouillaient d’activité. Je me suis assis dans le renfoncement d’un muret et j’ai laissé mon regard vagabonder. Une petite troupe de Shivaïtes est passée devant moi. Ses membres étaient tous vêtus de belles toges de couleur ocre. Ils se sont arrêté en face d’un autel et ont entamé des chants rituels. L’atmosphère était magique, très vive. Les ghâts de Vârânasî sont une sorte d’organisme vivant. La journée, ils sont écrasés par la chaleur impitoyable de l’été Indien, mais plus la soirée approche, plus ils s’éveillent. A la tombée du jour, la ville leur appartient : c’est comme un festival. Puis la nuit tombe, il fait de plus en plus noir, et les ghâts deviennent étranges, parfois effrayants. Le soleil point alors à l’horizon : c’est le matin. Et il n’y a ni festival ni grande cérémonie, il y a simplement de la vie. A cette heure, les Indiens investissent un lieu qu’ils habitent. Je trouve que c’est un moment très spirituel.
 

fibrose

Elfe Mécanique
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whaou rien a redire sur ton TR!
juste le plus magnifique TR que j'ai pu lire je me suis laisser prendre par ton TR,jusqu’à en perdre la notion du temps,c'est pour te dire!
vraiment j'ai vecu ton TR en plus les image que tu as associer peuvent qu'aider a l'imagination!
pour ce qui est du retour d'acide,je ne peux pas te répondre je n'ai jamais pris de LSD!
je sais pas quoi te dire a part merci tu as embelli ma soirée :heart:
 

Rasf

Sale drogué·e
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On oublie trop souvent que le cannabis peut être psychédélique. D'autant plus quand on n'a pas d’accoutumance et que l'on est dans un cadre particulier, et je crois qu'on peut dire que l'inde, et Varanasi en particulier, le sont. Si à cela tu ajoutes la fatigue mélangée au stress, et bien, ce qui t'es arrivé n'est pas hyper surprenant (vu de l’extérieur, tranquille dans mon canap' c'est facile à dire^^).

Ceci dit, tu retranscris bien certaines sensations qu'on peut avoir en voyage et en Inde en particulier. Je ne connais pas Varanasi mais en général, les villes indiennes c'est entre le cauchemar et l'hallucination avec une touche mysticisme, des tonnes de poussières, du bruit insensé, des odeurs agréables comme horribles et un peu trop de sollicitations de toutes parts. Bref, hyper usant. Et la campagne n'est pas toujours plus reposante. Je comprend que pas mal de gars pètent un câble là-bas.

Superbe TR, merci.

Et enjoy your trip !
 

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Neurotransmetteur
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12 Avr 2012
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Merci pour vos retours, ça fait super plaisir !

Rasf : J'avais déjà eu l'occasion d'expérimenter les effets psychédéliques du cannabis, mais jamais avec une telle intensité. D'ailleurs, depuis ce "trip", je me suis de nouveau pris quelques claques après avoir trop fumé en soirée ou en concert... à croire que je me suis un peu esquinté l'esprit. ^^'
Et ouais, l'Inde... Pfiou, on pourrait écrire des TR entiers dessus. C'est en me confrontant à ce pays que j'ai réalisé à quel point notre mode de vie est policé, rationalisé.
 
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