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[LSD] {Il y a six ans} Objectivité

Acromyrex

Fouri croonde
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19 Mai 2014
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Hey.

Je suis retombée sur ce texte que j'avais écrit dans les jours qui ont suivi ma deuxième prise de L il y a... 6 ans en arrière quasiment jour pour jour. Je vous le copie en laissant les répétitions, elles donnent bien à voir comment l'idée principale du trip s'est déployée, est partie et revenue plusieurs fois sous des formes à peine différentes. On commencera par un peu de contexte et de narration des événements (qui n'apparaissent presque pas dans le texte) et je dirai pour finir deux mots de ce qu'il me reste de tout ça aujourd'hui.

Contexte
On est deux. Je connais très bien cette personne, j'ai testé avec lui le LSD pour la première fois il y a plusieurs mois. Nous prenons les mêmes buvards qu'à ce moment. On en coupe un en deux d'abord, on marche longtemps le long des quais en ville, il est 22h15. Puis, capables seulement de distinguer de petites variations dans les perspectives sans savoir à quoi l'attribuer, vers 23h30, on décide de reprendre une moitié. Les buvards sont annoncés à 180 microgrammes mais je crois pas trop, avec le recul, que la dose était si haute. On s'assoit sur d'autres quais en contemplant l'eau et les couleurs et l'éclairage public qui y changent. On est pris·es d'un doute sur les probables premiers effets. On décide de se mettre en route vers chez moi, à une grosse demi-heure de marche.

Dès qu'on est debout, on prend une énorme claque en même temps. C'est presque physique. L'entiereté des arbres qui longent le quai se mettent à osciller, les couleurs sont très vives, le mur de pierre se couvre de lianes et de visages sculptés dans la pierre. Et bam, bam, bam, les effets montent par vagues violentes. L'ami a faim, il rentre dans une petite supérette, les néons grésillent, le miroir me perd complètement sur la taille du lieu et sa géographie, il arrive (et je ne comprends pas comment c'est seulement possible vu comme on est en train de se faire démonter) à trouver deux euros dans une poche pour payer ses madeleines. On monte dans le tram, on tiendra à peine un arrêt. On parle fort, on est sûr·es que tout le monde nous a grillé·es, l'ami me demande toutes les secondes si on est arrivé·es tellement le temps est dilaté. On finira à pied, puis chez moi, puis quand ce sera plus calme dans les rues autour de chez moi, et un petit square pour une partie de la descente. Mes plus beaux visuels : des roses qui poussent et qui éclosent dans une délicatesse infinie, un sol de sable pavé de fleurs de lys, ma main touchée par un rayon de soleil et de poussière qui n'est plus que ces grains lumineux emportés par le vent.


Pas vraiment un récit, brut, d'époque
Les billes à la place des yeux, le sourire niais de la personne qui... ah ! de la personne dont le "moi" classique, celui qui réfléchit ici, ne fait plus que des passages éclairs, n'est plus qu'un parmi toutes les possibilités explorées. L'univers est comme une sphère immense et creuse. La nappe qui l'environne va parfois vers le cœur, parfois s'en éloigne, change toujours de répartition de "poids". Ce "poids" c'est les informations que tu tries pour essayer d'être témoin de l'expérience. Y'a pas de visuel et de mental. Mon cerveau c'est cette chose multicolore et mouvante traînée sur les murs, les arbres, dans le ciel.

Penser à ce à quoi ça ressemble "de l'extérieur", pas réussir à le concilier avec les torgnoles que "je" se prenait dans la gueule. Genre : "je" a l'air d'une droguée caricaturale qui ouvre des yeux émerveillés sur le monde qui part en miette avec elle... mais putain ! le monde part en miette avec mon ego, ça doit bien "être" aussi recevable comme vision du monde à cet instant que celui du type assis sur son banc et qui trouve que j'ai l'air chelou... et ça doit bien baver d'une façon ou d'une autre sur son monde comme sa vision me gâche l'expérience en me clouant à une "réalité" qui se veut plus "objective"... non ?

Plusieurs fois au cours de la soirée, l'ami qui m'accompagnait m'a dit "tu sais, profite hein, mais ça c'est un voyage classique". Ça et ce connard d'Hunter S. Thompson, ça m'a ramenée à l'avant dernière scène de Las Vegas Parano, où il tape à la machine et la caméra recule vers le haut et il dit un truc du genre que pendant les années 60 y'avait cette idée folle après qui tout le monde courrait qu'était que y'avait une lumière au bout du tunnel, "quelque chose" à extraire de ces microgrammes de LSD ingérés qui va au-delà d'un objet de divertissement et de consommation, "quelque chose" qui rend l'expérience carrément d'une nature différente de celle du quotidien. Or tout ce que je voyais c'était en quoi c'était un objet de divertissement et de consommation comme un autre... et ça se superposait perpétuellement à mon expérience dont il serait difficile de retrouver le sujet... et c'était inconciliable... De l'extérieur j'ai juste l'air d'une droguée paumée qu'a fui quelque chose, qu'arrête pas de rire, et peu importe ce que c'est "fort", j'arrive pas à voir comment cette expérience déborde sur la vision du monde d'autrui, alors que cette même vision d'autrui, elle est en train de me gâcher partiellement l'expérience.

Ça a échoué hein, mais l'expérience essayait perpétuellement de concilier la bouillie de sensations-visuels-égo avec la perception de ce en quoi ce n'était "que de la consommation et du divertissement". Y'avait deux dimensions à cette incommensurabilité : de l'intérieur et de l'extérieur. A la fois j'avais l'impression de pouvoir expérimenter ce que c'était "anodin" malgré l'intensité incroyable de ce qui se passait (aidée par le fait très surprenant qu'il n'y ait eu aucun moment où ça aurait pu mal tourner... "je" a vite abandonné, ça a du clairement jouer), et puis aussi ce que j'imaginais être ce que voyaient les gens "clean" me faisait relativiser à mort : t'es juste une droguée les yeux écarquillées qui rigole comme une idiote et qui, pour eux, fuit, d'une façon ou d'une autre, "ta vraie" existence. Tu te divertis d'une façon qui fait prendre masse G dans la gueule, et des claques, et des re-claques, et des re-re-claques... mais tu te divertis... en un sens très philosophique de tromper la mort... mais tu te divertis.

Tout ça était inconciliable parce que j'ai pas envie de ne faire "que" ça. Parce que ces claques "il faudrait" qu'elle trouve une traduction dans un rapport au monde plus quotidien. "Il faudrait" qu'elles soient digérées et rangées, et qu'elles modifient quelque chose. Si "ça" ça ne fait rien, y'a comme un grand vide. Presque une déception. L'impression que j'trouverais pas ce que je cherche, à savoir soit sentir ce relativisme pour lequel j'ai une affection intellectuelle profonde, soit réussir à mettre quelques idées en place et à nommer les principes qui me permettront de construire quelque chose. Et tout ce qui reste, c'est une substance sur un carton qui peut me donner l'illusion que c'est atteignable, mais que ce n'est pas atteignable, que tout est tout, mais pas trop quand même, que "je" vit un truc de fou furieux, mais qu'en fait il fuit sa lucidité pour une raison qu'il est incapable de formuler, etc., etc.. Et tout ce qui reste c'est la capacité à m'auto-persuader-convaincre que ce divertissement peut être une finalité et qu'il n'y a pas de lumière au bout du tunnel. Facile à dire et pas à vivre.

Ce n'est pas un échappatoire. Je suis toujours bloquée au même endroit.

Cette chaleur intérieure contre la tiédeur kétaminée. Cette chaleur irradiante, douce, agréable.

Shine On You. Sur les murs qui vibrent avec elle, dans mes membres qui sentent les chemins qu'ils devraient parcourir pour bouger avec elle, le monde qui n'est plus que cela.

Le chocolat et les éclats de coco sur les murs du couloir, ah ! Dans ma bouche ! Oh, sur les murs.
Le fromage et l'univers qui en prend la texture et se déforme comme ma mâchoire mâchant.

Les bruits qui deviennent d'autres sons, qui deviennent des visuels, qui etc.. Tout est rangé. Dans l'espace et dans le temps. L'effet "rewind" dans lequel l'ami, les oiseaux dans le ciel, et mon regard sont pris est incroyable : les choses vont dans un sens, puis les événements se rembobinent. D'ailleurs je peux à la fois sentir les schémas que veulent suivre mes mains en avant mais aussi en arrière : je me lève du canapé mais pas en me levant, en allant à l'envers de quelqu'un qui s’assoit, espérant un fol instant contrôler suffisamment les choses pour "voyager dans le temps", pas littéralement mais psychologiquement.

J'ai pas essayé de comprendre, comprendre était aussi visuellement en train d'arriver.


Petits plus
Passée la montée, quand je me suis sentie assez en confiance, j'ai essayé de me laisser submergée par l'expérience et j'ai comme touché un plafond de verre au-dessus de ma tête. Yeux fermés, assise en tailleur, les hallucinations se sont ordonnées et simplifiées plus j'allais "loin". Elles n'étaient finalement plus qu'un motif se répétant 4 fois. Il était plein de nuances de roses intenses, une silhouette 2D de lama de profil imbriqué dans celui d'à côté. Une fois qu'ils se figent, les couleurs elles continuant de vibrer, je sens que c'est mon corps qui se déforme pour devenir partie de cet ensemble (je ne pense pas avoir bougé, j'avais souvent cette impression de pas trop savoir quand attribuer le mouvement à ce qui était vu ou à ce qui regardait). Un bref instant, le point de vue sur la scène se décale. Tout est vu d'une manière plus centrée et pas depuis mon corps. Puis le moment s'en va. J'ai été tirée de tous les côtés, et ai été plein de choses, plus ou moins en moi, plus ou moins ailleurs, plus ou moins autre que moi, mais là, même au plus fort, je ne pouvais pas aller plus loin et il y avait toujours quelque chose.

Qu'est-ce qu'il m'en reste ? Une histoire très belle, des souvenirs de sensations lointaines, des images gravées sous ma rétine, un moment important avec l'ami. Je me suis désintéressée de la question centrale suivant un cheminement de pensée de l'ordre de : la bonne réponse à la question c'est celle qui lui fait perdre son sens. J'ai un peu laissé derrière moi des questions qui m'obsédait y'a quelques années, sur l'objectivité, la subjectivité, le libre-arbitre et le déterminisme, et plein d'autres questionnements prennent au quotidien bien plus de place. Ils n'ont évidemment pas rien à voir (la politique a à voir avec le monde et les manières d'être au monde), mais le cœur est plutôt sur ce qui est souhaitable, sur l'émancipation collective.

J'ai pas pris des psychés pendant des années. J'ai hâte d'en reprendre mais ce sera petit à petit et en faisant bien attention parce que je suis clairement plus anxieuse et triste (même si paradoxalement aussi plus heureuse) qu'à cette période passée.
 

Tridimensionnel

Holofractale de l'hypervérité
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Tu as mis le doigt sur une sensation qui me perturbe souvent sous psyché et pour laquelle je ne trouvais pas les mots... que des expériences aussi signifiantes, réalistes, prenantes, ne soient qu'en nous, comme des lunettes déformantes, c'est très bizarre et quand je m'en rappelle, ça m'entraîne de la dysphorie.
 

Acacia

𝓥𝓪𝓹𝓸𝓾𝓻𝓸𝓾𝓼 𝓢𝓱𝓪𝓭𝓮𝓼蒸気の色合い
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Ça c'est du bon acide et très bien décrit merci du partage
 

Acromyrex

Fouri croonde
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Merci pour vos retours, ça fait bien plaisir.

Tridimensionnel > J'ai l'impression que le L m'a fait vivre de manière extrêmement condensée et amplifiée ce qu'il y a des discontinuités et des variations profondes dans le "je" du quotidien. J'ai un peu commencé les rêves puis les drogues avec l'idée d'expérimenter des états modifiés de conscience. Je trouve maintenant très tangible comme il y a des vagues aussi, simplement étalées dans le temps, sur plusieurs jours, de manières d'être au monde. Et pas un état rigide qu'on vient perturber absolument par le sommeil ou la drogue.
Du coup, pour moi, cette question de ton expérience, aussi forte soit-elle, a l'air quasi-réduite à un changement individuel de perceptions, c'est un peu la même question que de  savoir si il y a ou pas incommunicabilité de l'existence en général. Et comme souvent... sous L, j'ai l'impression de réfléchir de manière un peu grossière et caricaturale, j'arrive à confondre des choses qui sont assez différentes en me fondant sur un sentiment général. Et notamment, je pense beaucoup en absolus. Pour avoir été sobre avec un proche badant d'une manière qui m'était vraiment difficilement compréhensible, ça traverse. Ça traverse pas parfaitement et voilà je vis ce qu'il vit, pas du tout, mais ça traverse. Évidemment. Ça se voit sur ta gueule, ça s'entend quand tu parles, etc.. Et pour l'inconnu, j'suis seulement ce que je suis, un morceau du paysage. Espérer que ça fasse boum pour lui comme ça fait boum pour oim c'est absurde.
Par contre, j'ai déjà pris de la MD avec une amie, saoule, pas prodée mais connaissant le prod, et une longue discussion, des danses, etc., dans un cadre calme d'un appart, ont fait que l'expérience a traversé de manière bien plus notable et profonde. Y'a des éléments contagieux. On peut les balayer d'un revers de la main comme étant minimes, et resté·es québlo dans des absolus, mais perso ça m'fout des dysphories métaphysiques violentes comme quand je pense grossièrement à la mort. Et ça m'plait pas. Je dis pas que ça veut rien dire du monde, de la conscience ou de la mort, mais ça veut pas tout dire (de rien pour ce point de vue précis, il apportera sûrement beaucoup à la discussion... huhu...).
 
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