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LES FRONTIÈRES DU MOI

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LES FRONTIÈRES DU MOI

(ancien article qui a du sauter avec la migration du forum, je le reposte pour étayer l'article à venir sur la transe)


Il s'agit dans cet article de traiter des différentes orientations et mode d'action du moi, lorsqu'il permet à l'esprit d’interagir entre réalité extérieure et intérieure, de passer de l’inconscient au conscient en passant par le préconscient, d'aller de l’organique au psychique, via le corps physique, mais aussi des pensées métaphysiques aux sens qui appréhendent intuitivement l’essence des choses, des objets intérieurs et extérieurs. Autrement il s'agit de traiter les mécanismes de projection, d'identification, et d'introjection par les investissements libidinaux et l’action du narcissisme.

Pour schématiser, il y a des frontières du moi conscientes, inconscientes et préconscientes, touchant aux domaines du psychique, du sensoriel, du mental, de l'organique qui englobe le tout :

Conscientes - intellectuelles (pensées, intuitions et raison) - mentales
Préconscientes - sensorielles (sens et sensations ressenties) - mentales et corporelles
Inconscientes - émotionnelles (affects et sentiments éprouvées) – corporelles

On verra aussi comment les affects de peur et d’angoisse diffèrent, selon leur implication dans les frontières du Moi.


DÉFINITION DU SOI

En étudiant l’opération de la frontière-contact dans le champ organisme-environnement, de la philosophie à la psychologie et à la psychanalyse, ces différentes branches de la pensée ont permise d’élaborer les notions de Soi et de Moi. Le Soi (Self) représenterait les frontières contacts en action, il est donc le système de relations et de réponses de l’organisme à l’environnement, au niveau des frontières où les échanges se produisent entre les deux.

Le rôle du Moi vis-à-vis du Soi (sentiment d’exister et délimitations de sa personne, de ses frontières mentales et corporelles)

Le Moi est un organe sensoriel psychique permettant de percevoir la réalité. Il est le soutien indispensable de la personnalité en l’unifiant dans son ensemble, que sont le corps et l’esprit (l’individu en soi). Le Moi n’est pas passif, il synthétise les objets et sens perçus, en ressentis, en sensations, et en pensées, tout en agissant en faisant tampon avec ce qui est à l’extérieur de soi : « Le Moi est une unité d’investissement fonctionnelle, changeant avec chaque pensée et perception actuelles, mais retenant le même sentiment de son existence à l’intérieur de frontières distinctes ». « Voilà une bonne description de ce que nous avons appelé plus haut la “personnalité”. Le Self en tant que tel ne ressent pas tant sa propre existence que l’unité de son contact ». On pourrait cependant objecter que le Self ressent sa propre existence lorsqu’il est en contact avec lui-même, dans un mouvement auto-réflexif où il se prend lui-même comme figure, c'est-à-dire lorsque l’on prend conscience de soi, de son existence. « Le Self conscient n’a pas de frontières fixes ; il existe, dans chaque cas, dans le contact avec la situation actuelle et il est limité par le contexte de la préoccupation, par l’intérêt dominant et les identifications et aliénations qui s’en suivent ».


LES FRONTIÈRES DU MOI – D’après les travaux de Paul Federn

Federn conçoit la frontière comme une frontière contact qui à la fois sépare et relie l’intérieur et l’extérieur, le Moi et l’environnement. Le sentiment du Moi est donc la conjonction du sentiment d'une unité dans le temps, du sentiment d'unité dans l'espace, et du sentiment d'une causalité. Ce mélange fait que l’on se sent exister en soi, plus précisément qu’on est conscient de soi, de part ce qu’on éprouve via son Moi. Ces limites du Moi forment la "frontière mentale et corporelle du Moi". L'évidence du monde extérieur dépend de l'investissement libidinal (énergie psychique et pas que sexuelle) des frontières corporelles du Moi. Nous possédons donc un sentiment permanent d'évidence du monde extérieur qui prend son origine dans le fait que les impressions du monde extérieur passent à travers une frontière corporelle du Moi chargée d'une qualité particulière de sensations, et de sentiments corporels du Moi.

Nécessité de définir des limites entre soi et le monde.

L'intérêt se porte sur les états de passage, les transitions, comme par exemple le passage entre sommeil et réveil. Il s’agit donc d’une conception dynamique de la notion de limite. La limite n'est pas un obstacle étanche, une coupure radicale, mais une condition essentielle au fonctionnement de l'appareil psychique permettant d'établir des différences internes comme externes tout en permettant des échanges. De plus cette limite, "les frontières du Moi", n'est pas fixée une fois pour toute, elle est en perpétuel changement, variant et fluctuant selon les moments, les situations et les personnes. On prendra pour la suite le terme de « frontière du moi » dans son sens littéral, à savoir jusqu’où s’étend le moi selon ce que nous sentons, ou plus exactement, le point au-delà duquel le Moi ne s’étend pas.

Moi / Non Moi.

Le sentiment du Moi implique la notion de frontière qui distingue ce qui est ressenti comme Moi, et ce qui est ressenti comme Non-Moi : « Le terme de « frontière du Moi » ne désigne rien d’autre que l’existence d’une perception de l’étendue de notre sentiment du Moi ». La frontière s’instaure lorsque les objets de l’environnement sont ressentis comme extérieurs à l’individu ; ce processus opérant peu à peu dans le développement de l’enfant, et perdurant toute la vie durant.


ORIGINES

Le sentiment du Moi, sorte d’auto-sensation de soi-même, existe pour Federn « depuis le début, bien qu’il soit tout d’abord vague et pauvre en contenu », il est en lui-même agréable « sans revêtir un sentiment de satisfaction particulière », il lui reconnaît « la qualité d’un “avant-plaisir” agréable ». Il considère deux aspects à ce sentiment, l’investissement libidinal du Moi psychique et celui du corps propre, l’ensemble constituant le sentiment du Moi global. Le terme de « frontières du Moi » désignant donc le sentiment d’étendue du domaine du Moi (autant mentale que corporelle), « l’éventail des fonctions du Moi ». On peut alors décrire le sentiment du moi « comme sentiment des relations corporelles et mentales, du point de vue du temps et du contenu ». Le sentiment corporel du Moi ne se confond pas avec la perception immédiate que l’on peut avoir de son corps ; c’est plutôt « un sentiment composite qui inclut tous les souvenirs moteurs et sensoriels concernant notre propre personne. Il n’est pas cependant identique à ces souvenirs mais représente plutôt un sentiment unifié des investissements libidinaux des appareils moteurs et sensoriels ».

Satisfaction vs déception

En grandissant naturellement et selon ses expériences et acquis, avec la maturation du corps et de l’esprit, les frontières du Moi corporelles et psychiques s’étendent progressivement toutes deux. Néanmoins les frontières du Moi se retirent des objets chaque fois que l’enfant est déçu par ces objets, chaque fois qu’il trouve que ceux-ci ne sont pas soumis à ses désirs, et chaque fois qu’ils lui font éprouver de la douleur, de la peine, de l’angoisse et même de la peur. On pourrait interpréter dans ce sens le mouvement de projection où des parties internes du Moi ne sont plus ressenties comme appartenant au Moi mais projetées au-delà de ses frontières dans les objets externes (je dénie un sentiment qui est mien, mais dont je ne suis pas conscient et je l’attribue à autrui : « Ce n’est pas moi qui le déteste, c’est lui qui me hait ».
Au contraire, plus un enfant où un adulte est satisfait de l’objet qu’il investit (par exemple rouler avec sa nouvelle voiture), plus les frontières de son Moi s‘étendent dans un sentiment très plaisant de conduire un véhicule qui nous appartient et avec lequel on fait un, en plus de se renseigner sur les caractéristiques de celui-ci (à la manière d’un passionné qui voudrait toujours en apprendre d’avantage sur son sujet).


MOBILITÉS - Fixes vs variables

Le terme de « frontière du Moi » ne désignera rien d’autre que l’existence d’une perception de l’étendue de notre sentiment du Moi. Il ne s’agit pas d’une frontière rigide. C’est le contraire qui est vrai. Ces frontières (l’éventail des fonctions du Moi), qui, investies de sentiment du moi (donc de libido), appartiennent toujours au moi, et sont perpétuellement en changement.

Les frontières du Moi ne sont ni statiques ni figées ; elles sont au contraire changeantes et mouvantes. Il s’agit d’un processus dynamique, la frontière située à la périphérie du moi jouant le rôle d’organe sensoriel permettant le contact avec l’environnement, lorsqu’un individu sent intuitivement où son Moi finit, et en particulier le moment où la frontière vient de changer. C’est donc davantage une frontière subjective qu’une frontière physique (même si elle prend appui sur la perception des limites du corps).

Si les frontières du moi, dans ses différentes manifestations, sont fluctuantes en extension et en intensité, il faut selon Federn, en conclure qu’elles sont investies énergétiquement de façon variable. Il postule donc l’existence d’une énergie pulsionnelle qui s’attache spécifiquement aux frontières et dont les changements d’intensité provoquent les mouvements et les fluctuations de la conscience de ces frontières. Cet investissement peut revêtir différents modes, le plus commun et courant étant l’attention que l’on porte aux choses. « On fait l’expérience de l’investissement actif du Moi dans les projets, la pensée, les actes et sous sa forme la plus élémentaire du phénomène de l’attention. L’investissement passif du Moi détermine le besoin de stimuli. L’investissement réfléchi se manifeste dans l’amour ou la haine de soi ».

Les frontières n’ont donc rien de fixe mais changent sans cesse, dans des investissements ou désinvestissement du Moi ou des objets

Il s’agit d’un changement d’étendue en fonction des objets rencontrés à la périphérie du Moi et des mouvements de la libido qui lui correspondent et qui s’accompagnent de sentiment d’étrangeté ou de dépersonnalisation, en particulier en cas de repli des investissements. L’antithèse, économique donc, s’établit entre « l’investissement du Moi » et « l’investissement d’objet », et Federn insiste sur la nécessité de distinguer entre investissements mobiles et investissements statiques. Il souligne que le sentiment du Moi, à sa périphérie, est renforcé à chaque fois que la libido se mobilise à sa frontière, et que « l’attention ou la volonté sont dirigées sur un objet ». Les plaisirs préliminaires renforçant le sentiment du Moi mental et corporel.

Les frontières du Moi peuvent envelopper ou absorber les objets ou les rejeter : « Il est des personnes qui à tout moment étendent leur frontière du Moi pour inclure chaque impression nouvelle ; de ce fait, elles sont toujours prêtes à absorber dans le Moi des objets nouveaux et différents – autrement dit, prêtes à les investir de sentiment du Moi, de libido narcissique – et ainsi à s’engager dans des identifications toujours nouvelles » (exemple du passionné). Ainsi Federn montre bien que la frontière est une frontière contact, fortement investie d’énergie libidinale (c’est-à-dire de mouvement d’attraction ou de répulsion) et qui sert en quelque sorte à « palper » l’environnement pour s’en approprier des éléments et en rejeter d’autres.

Les perceptions du Moi se font donc sur deux plans, l’un psychique, et l’autre physique. Sur le plan psychique on parle d’aperception, quand l’individu a des prises de conscience claires d'une perception, ou d'une connaissance. Sur le plan physique on parle de proprioception, perception qu'à l'homme de son propre corps dans l’espace et le temps.


MENTALES

Le sentiment psychique du moi est la représentation mentale que l’on a de sa propre personne. Cette représentation induit le rapport qu’à l’individu avec sa propre existence, en se reconnaissant dans son intériorité (ses émotions et ressentis), et dans son environnement (ses possessions, ses activités, son entourage). Par l’intermédiaire des frontières du sentiment du Moi mental, nous devenons conscients du fait que nous ressentons des émotions, des pensées, des perceptions de toutes sortes, des souvenirs, et notre propre parole, notre mouvement, comme pénétrant de l’extérieur dans la zone du Moi, dans notre individualité. Par exemple, je fais mien cet épisode de True Detective quand je le regarde, jusqu’à ce que je mette le suivant, et que je le fasse mien de la même manière, en investissant la série, en me projetant à la place des personnages, dans leur rôle et ressentis selon les situations présentées à l’écran. Selon mon empathie et ma sympathie, varient mes frontières du Moi.


CORPORELLES

Le sentiment physique du Moi est une représentation psychique des frontières corporelles de sa personne. Une personne normale avec un Moi sain, garde de façon permanente un sentiment plein des frontières de son corps qui, inconsciemment le démarque du monde extérieur. Physiquement l’étendue de la frontière dépend de jusqu’où nos sens et ressentis corporels peuvent nous faire percevoir de la réalité, l’étendue de la frontière de notre Moi définissant notre propre réalité, c’est en cela qu’elle est subjective. Par exemple l’automobiliste qui étend toujours son Moi corporel aux pare-chocs de sa voiture.

Aussi les frontières corporelles ne correspondent pas toujours aux frontières psychiques. Des fluctuations entre les frontières corporelles et psychiques sont courantes au cours du développement. Le corps est ressenti psychiquement comme extérieur au Moi (dépersonnalisation ou déréalisation), ou au contraire les objets extérieurs envahissent l’espace de la pensée (obsessions et ruminations).


NARCISSISME - Instance assurant son sentiment d'exister, selon l'estime que l'on se porte d'après l'image que l'on se fait de soi

Paul Federn a apporté sa pierre à l’édifice du narcissisme en introduisant les notions de « sentiment du Moi » et d’étendue du Moi, à travers la notion de « frontières du Moi ». Il les conçoit en fonction des quantités de libido investies sur le Moi lui-même, et sur la part de celle-ci qui s’étend aux objets (il y a donc une libido narcissique s'investissant sur le Moi, et indispensable à son propre sentiment d'existence, et une libido d'objet indispensable pour faire exister et donner de la valeur aux gens et aux choses autour de soi).

Processus normal d’investir narcissiquement son Moi, pour se sentir exister.

En règle générale nous pouvons considérer ce processus d'investissement narcissique comme normal, si le Moi dans sa totalité conserve un équilibre psychique – c’est-à-dire, s’il ne perd pas ses investissements narcissiques – malgré l’apparition d’une réussite particulière, par exemple d’un engagement affectif intense. L'idée étant de ne pas se donner corps et âmes à autrui ou à un objet, au risque de n'exister qu'au travers d'une personne ou d'un objet idéalisé, en n'étant plus soi-même, ou complètement effacé pour laisser briller l'objet monopolisant son énergie psychique, au détriment de sa propre personne. Dans le cas contraire, à trop investir son Moi en narcissisme via sa libido, la personne devient un monstre d'ego et d'auto-satisfaction, et dans une dimension organique en vient à manifester une volonté de puissance, de domination en s’appropriant son environnement, et autrui (les personnalités narcissiques prenant les gens pour des objets).

Du narcissisme à la dépersonnalisation.

Ces investissements et désinvestissements libidinaux et narcissiques décrivent le fait d’entrer dans le conscient, de continuer dans celui-ci et d’en disparaître de manière naturelle comme on vit chaque choses et évènements au quotidien, s’il n’y avait le phénomène suivant : tout d’abord, dans le cas d’investissement de libido déficient des frontières du Moi, les expériences psychiques sont conscientes comme d’habitude, mais cependant ressenties avec un sentiment d’étrangeté . D’une part, ce qui devient conscient reste dans le conscient comme faisant partie du monde extérieur et séparé du Moi (ce portable qui sonne est mon portable, sauf que je n'ai pas l'impression qu'il m'appartient, c'est une sensation étrange), tandis que d’autres part, certains contenus en devenant conscients sont absorbés par le Moi, avant d'être assimilés puis intégrés sans qu'il soit question de doute et de sentiment d'étrangeté (c'est mon portable qui sonne, je décroche sans trouver cet acte étrange).

La différence est due au fait qu’il y a une grande diversité de frontières du Moi, mais qu’il n’y a qu’une frontière où ait lieu la pénétration dans le conscient. Donc au moment où mon portable sonne, si l'identification à mon portable ne correspond pas à la frontière en lien avec mon portable (la case téléphonie dans sa tête pour imager la chose), alors le phénomène de sonnerie est en contact avec mon Moi à la frontière auditive, mais tout en n’ayant aucun contact avec aucune autre frontière du Moi. Ainsi je sais consciemment que mon portable sonne, mais dans un désinvestissement narcissique de l'objet (ça ne me fait pas kiffer que mon téléphone sonne), je reconnais et considère le phénomène comme appartenant au monde extérieur, bien qu’il occupe momentanément ma frontière auditive du Moi, d'où le fait que je n'éprouve pas la sensation qu'il fait partie de Moi, telle une extension de ma personne. Je l'ai dissocié de ma personne faute de lui associer une frontière définie et en harmonie avec ce que je ressens (on y reviendra dans la partie des affects).

Ces états de sentiments d'étrangeté à l'égard de soi ou d'objet, mais aussi de dépersonnalisation et de déréalisation lorsque le Moi ou les objets environnants sont désinvestis en libido, oblige à distinguer le conscient de la frontière du Moi qui implique une inclusion dans le Moi (par où va sortir ou rentrer l'énergie psychique donnant de la valeur à soi, aux objets et aux choses). Effectivement il existe en nous un grand nombre d’états divers non conscients du Moi, avec une diversité de contenus et de frontières, qui peuvent devenir conscients mais qui, de façon préconsciente ou inconsciente, ont toujours un rôle à jouer dans l’influence exercée sur nos sentiments et nos pensées. Autrement dit, du conscient à l'inconscient en passant par le préconscient, nos frontières du Moi mentales et corporelles peuvent nous laisser coi, nous faisant sembler étranger à nous-même. Qu'il s'agisse d'un état normal ou pathologique, le phénomène de dissociation est le même, mais à des degrés et intensités différents.


LES TROUBLES DISSOCIATIFS VIS A VIS DES FRONTIÈRES DU MOI - Doute vs convictions

La notion de frontière du Moi n’est pas chez Federn une simple construction intellectuelle. L'expérience subjective de "sentiment du Moi" a une utilité pratique en assurant une continuité existentielle entre le dedans et le dehors de soi (si la frontière du Moi perd son investissement énergétique, la frontière s’estompe, le Moi n’est plus capable de distinguer clairement l’intérieur et l’extérieur, ce qui se passe « en dedans » et ce qui se passe « en dehors »). C’est l’investissement des frontières du Moi qui permet de différencier le Moi de la réalité extérieure. Et ce sont les fluctuations de cet investissement qui expliquent les perturbations pouvant atteindre le sentiment de réalité. Par exemple les sentiments d’étrangeté et de dépersonnalisation peuvent intervenir dans la vie normale, et sont souvent l’expression d’une perte normale ou pathologique du sens du réel. C’est l’origine des hallucinations où le malade situe dans la réalité extérieure des images, des pensées, des paroles qui se forment à l’intérieur de lui.

Sentiment d'étrangeté - Impression de déjà-vu

Il faut se représenter le Moi comme une expérience continue du psychisme. Si le sentiment du Moi manque, il se produit le phénomène de sentiment d’étrangeté, qui se décompose en un sentiment intérieur et un sentiment extérieur. L’étrangeté intérieure porte sur les les émotions, les pensées et idées existentielles, et sur ce qui nous introvertie en général. L’étrangeté extérieure porte sur ce qui nous extravertie, à savoir nos aperceptions et intellectualisations qui apparaissent comme manquant de familiarité (quand nos prises de conscience ne semblent pas nous appartenir). Elle porte aussi sur nos perceptions qui manquent de chaleur, de vitalité et de spontanéité. L’étrangeté de sa propre voix réunit l’étrangeté intérieure et extérieure, et alors ses perceptions et aperceptions étrangères ont un caractère commun d’éloignement, constituant souvent le stade initial de la dépersonnalisation. Les objets et les êtres extérieurs sont ressentis comme étranges, perdent leur aspect de familiarité et peuvent même apparaître comme dépourvus de vie ou comme irréels. Federn explique ce phénomène par une perte d’investissement des frontières du Moi, affectant sa sensation de réalité.

L'impression de déjà-vu est fréquent chez celui qui remet en doute sa perception de la réalité, en lui faisant revivre le passé comme si c’était le présent, et inversement. Plus précisément, c’est une impression subjective et inappropriée, laissant pour familière une expérience indéfinie entre présent et passé. Il s’agirait d’une confusion attentionnelle, lorsque sortant d'un instant d'inattention, l’individu se concentrant à nouveau sur le réel, serait confronté à une double lecture dans son esprit, celle du moment présent et d'un souvenir refoulé. Ce qui l’amènerait à vivre simultanément le réel et l’émotion d’un réel déjà éprouvé par le passé. Ainsi il reconnait son émotion passé, mais sans pouvoir l’associer au souvenir lui correspondant, puisqu’il est attentionné au présent.

Dépersonnalisation - Impression de se redécouvrir

Arrivé au stade de la dépersonnalisation, l’individu a le sentiment de ne plus exister comme il ne se ressent pas, ou alors de manière floue. Il peut en venir à ne pas se reconnaitre dans un miroir, en s’étonnant d’être soi, plutôt qu’un autre (désinvestissement du Moi en libido narcissique). Ayant perdu son sentiment d’unité et d’individualité, la notion même du vivant devient relative, et ses sensations ne lui paraissent plus évidentes et immédiates. En perdant la continuité existentielles psychiques et physiques de son être, l’individu change de point de vue en n’étant plus le centre de ses réflexions, et il se met à s’observer depuis une position périphérique. De ce nouveau référentiel plus objectif mais dénué d’humanité, l’individu se perçoit comme un être ou objet automatisé, un organisme biologique très développé et évoluant dans une réalité absurde.

C’est le sentiment même du Moi qui est atteint. Il y a une perte de conscience de la continuité de soi : « Je ne suis plus moi », « je n’existe plus » pourra dire le dépersonnalisé. Pour Federn, il y a alors « perte de la fermeté interne du Moi » par dissolution des frontières. On peut alors « définir la dépersonnalisation comme l’expérience subjective de l’éclatement du Moi ». Si des représentations (en particulier celles du corps), qui à l’ordinaire appartiennent exclusivement au Moi conscient, perdent leur sentiment du Moi, il s’ensuit un état de dépersonnalisation. Cela se produit dans le phénomène de rupture dans le réveil anormal (quand on ne sait plus où l'on est, qui l'on est, ni où se trouve le haut du bas, la droite de la gauche). Alors le corps est ressenti comme n’appartenant qu’au monde extérieur, hors du Moi, et relié au Moi (historique) uniquement par la mémoire. Ainsi il est véritablement dépersonnalisé. Cependant, il n’est pas ressenti avec un sentiment d’étrangeté, mais comme phénomène jamais encore vécu.

Déréalisation - Origine de la déréalité

La déréalisation modifie les ressentis au point que l’individu a l’impression que tout est irréel, comme s’il évoluait dans un rêve. Tout lui parait si distant qu’il se voit comme spectateur de sa vie, sa conscience flottant à côté de son corps. La réalité du déréalisé lui parait fausse, tel un décor de cinéma, et il ne ressent plus son environnement intuitivement (pertes des frontières dans un désinvestissement libidinal des objets extérieurs). Ainsi plus rien n’a de valeurs et de significations émotionnelles ou humaines, et il interprète les choses en les analysant au lieu de les vivre, les décortiquant en données statistiques et caractéristiques toujours plus techniques. D’une vie sensorielle lui permettant d’apprécier son monde, le déréalisé fait l’expérience d’un vécu exclusivement mental, son appareil cognitif ayant prit le dessus sur ses capacités à s’émouvoir de la beauté de la nature, ou de ses relations amicales, familiales et amoureuses.

C'est donc le désinvestissement libidinal des frontières qui met en échec la capacité du Moi à distinguer réalité interne et réalité externe, produisant ainsi une "fausse réalité", un sentiment de déréalité. Cette frontière, cette limite, est victime d'une véritable mutilation narcissique, le repli libidinal massif est alors secondaire et reste hémorragique, ne trouvant plus à se fixer. " La production d'une réalité fausse est le stade initial de la schizophrénie, la fusion narcissique régressive est un stade tardif. " Les états et troubles dissociatifs font varier les frontières et modifient dans une baisse ou une intensification le sentiment de soi.


INDIVIDUALITÉ ET UNIFORMITÉ DU CARACTÈRE VIS A VIS DES FRONTIÈRES ET DES AFFECTS

L’uniformité d’un caractère repose sur l’existence de quelques états du Moi fermement établis et invariables, dans lesquels les principales frontières sont inchangeables du point de vue de leur contenu et de leur étendue ; elle repose aussi sur la manière dont ces états sont investis de libido – ils deviennent conscients à la suite de diverses impressions, particulièrement lors d’occasions qui stimulent des affects analogues (sensations de plaisir/déplaisir selon son état de tension ou de relâchement). Plus de tels états invariables ont été formés ou prédisposés chez une personne, plus ces fondements réactionnels du Moi attachent de nouveaux contenus et de nouvelles directions réactionnelles, à des secteurs individuels du Moi et à leur frontière du Moi. C'est à dire que plus la psyché d'un individu est stimulée et développée dans des orientations variées, plus riche est l’individualité de l'individu alors capable d'appréhender des états individuels nouveaux, et d'accéder à une meilleure sélection de ses états et multiples facettes de sa personnalité, pour s'adapter au mieux au réel.

Il s'agit là d'évoluer en développant sa personnalité, ses potentiels et autres compétences intrinsèques, selon comment on gère ses affects en fonction des situations (par exemple si face à un problème on fuit en se déresponsabilisant, on se fige et on attend, ou l'on cherche une solution en allant de l'avant). On retrouve là aussi différentes manières d'être, que ça soit de construction de soi dans l’action ou l'entreprise d'activité (agir), de stagnation dans la passivité (attendre), ou destruction dans la réaction impulsive, inadaptée et disproportionnée (réagir).

Les affects vis à vis du corps

Chaque affect est un phénomène qui a une origine dynamique et qui contient des énergies d’investissement qui à tout moment imprègnent le Moi dans les limites de ses frontières, d’une qualité spécifique de sentiment et d’excitation, et qui continuent d’agir à la même frontière ou à d’autres frontières, de telle sorte que d’autres affects puissent naître d’une nouvelle rencontre avec une frontière du Moi investie de façon affective ou pulsionnelle. Il est question de ce que l'on vit au quotidien, quand l'on passe d'un sentiment à un autre, en s'en rendant plus ou moins compte selon le degré de conscience ou d'inconscience des deux frontières du Moi permettant l'expression et le ressenti du sentiment. Le surplus d’énergie s’écoulant alors dans le système somatique, par des tensions musculaires, des gestes nerveux, des gargouillements gastriques, des modifications du rythme cardiaque et respiratoire, et autres sudations.

En amour

La personne aimée nous apparaît en vérité comme étrange si tout à coup nous ne ressentons plus rien pour elle, c’est-à-dire si nous avons enlevé la libido du Moi dont sa représentation était jusque-là investie. Pas facile d’aimer ses proches quand on est dissocié (clivage du Moi) et dépersonnalisé en les ayant mis à distance (clivage d'objet). Dans le sentiment d’étrangeté du monde intérieur, qui est une forme de dépersonnalisation, le patient ne ressent plus ses affects comme reliés à son Moi. En conséquence, si tous les affects, ou un grand nombre d’entre eux, agissent entre deux frontières du Moi qui se touchent, le non-contact de ses deux frontières empêchent de ressentir ses affects, de les associer à sa personne, et donc d'éprouver de l'amour pour ses proches.

Dépersonnalisation comme cause des affects d’angoisse

Les expériences de terreur et d’angoisse sont très souvent la cause des états de sentiment d’étrangeté et de dépersonnalisation, c’est-à-dire du retrait de la frontière du Moi à l'endroit du stress (après un accident de voiture, l'individu s'est coupé de ses affects et parait comme éteint). Il existe une autre sorte de faiblesse du Moi qui est à distinguer en principe de l’instabilité des frontières du Moi ; la stabilité ou de l’instabilité des attitudes du Moi dépendant de son sentiment du Moi, des ses frontières et des contre-investissements narcissiques.

Différence entre la peur et l’angoisse

Freud a autrefois suggéré, sans jamais revenir là-dessus, que l’angoisse et la peur se distinguent l’une de l’autre par le fait que la peur a un objet tandis que l’angoisse est un état mental sans objet. Il se peut qu'il n’en soit pas ainsi. La différence la plus significative réside en ce que l’angoisse s’empare du Moi dans sa totalité, et que la peur ne s’empare que d’une partie du Moi, à la frontière qui est orientée vers l’objet redouté. Dans le cas de la peur, la sensation de danger n’existe qu’à la frontière du Moi menacée par le danger. L’appréhension du Moi dans sa totalité par le sentiment de danger ou par une peur hallucinée, gêne l’observation de la direction de l’objet d’où menace le danger. De plus, un sentiment de peur peut être intense sans qu’il devienne angoisse, et un sentiment d’angoisse peut être d’une intensité faible ; mais ce dernier est bien un sentiment d’angoisse, car le Moi tout entier a été saisi d’un sentiment de danger, bien que faiblement. Il existe une autre différence entre la peur et l’angoisse qui est parallèle à celle-ci. En comparant les deux sentiments, tous deux contiennent le concept de terreur ; Adler a également décrit l’angoisse comme danger halluciné. Mais l’angoisse est le sentiment d’une fuite inhibée par la pensée de la terreur, et la peur le sentiment d’une autodéfense inhibée de la même façon. En conséquence l’être angoissé « sent » la menace du danger comme venant toujours de derrière ; l’être apeuré a la menace devant les yeux, mentalement ou réellement. Ainsi l’angoisse peut se joindre à la peur ou la peur à l’angoisse, ou l’une peut se transformer en l’autre.


OBJECTIVITÉ, JUSTICE ET PITIÉ SELON LA FERMETÉ DU MOI

La résistance des frontières du Moi (la fermeté du Moi) est une condition préalable de la cruauté aussi bien que de la justice, de la constance et de la compréhension objective ; l’absence de résistance de la frontière du Moi est une condition préalable de la pitié, des sentiments sociaux et de l’humanitarisme, de l’empathie et de la conciliation. Des frontières du Moi étendues jusqu’à une identification commune peuvent obtenir un investissement narcissique extrêmement fort sans que cela soit préjudiciable à la continuation simultanée de la frontière du Moi individuelle (par exemple dans le nationalisme, les associations religieuses et politiques, ou les unités militaires) et par leur résistance elles fournissent aux individus un appui fortement désiré (sentiment que l'union fait la force).

Cette classification caractérologique est en fait bien plus complexe, car chez un même individu certaines frontières du Moi peuvent être très résistantes tandis que d’autres le sont moins. Des personnes dont les frontières du Moi résistent très fortement aux influences religieuses peuvent d’un autre côté céder à toute autre influence idéologique importante (politique ou nationaliste par exemple). Ceci est dû au fait que les contre-investissements narcissiques sont de force variable et ne sont pas reliés de la même façon aux différents domaines du Moi, par rapport aux différents groupes d’objets ou occasions d’identification, et à leurs éléments constitutifs efficaces, conscients ou inconscients. Il y a là un équilibre à trouver entre les différentes frontières de son Moi, pour rester sur de soi.


VIS A VIS DE L’ATTENTION QUE L’ON PORTE A SOI ET AUX CHOSES

Non seulement nous sommes conscients des processus qui nous animent, mais en plus nous sentons la vivacité et la réalité de la perception ou de la pensée, mais aussi de l’affect. Pour une frontière du Moi particulière, l’intensité de l’investissement libidinal du Moi peut aller du sentiment du Moi le plus vivace (à son plus haut degré dans la manie ou l’enthousiasme) à son absence dans le sentiment d’étrangeté (et l'apathie à son plus haut degré), de même, la satisfaction et la sensation d’une expérience pleine et totale peuvent se produire avec une intensité variable, à tous les degrés. Ce que Schilder désigne comme « éloignement du Moi » et « proximité du Moi » ne peut pas s’expliquer en termes de degré de séparation par rapport au Moi ; et ne peut pas non plus être conscient à des degrés variables. Au contraire, l’intensité libidinale de la frontière du Moi est d’une importance très variable. Chaque union de la libido du Moi et de la libido d’objet contient le fait qu’elle demeure consciente, et permet de ressentir pleinement son affect.

Autrement, dans les états dits dissociés, l’attention est diminuée lorsque la vue se floute, l’esprit se perd dans une diminution des sens qui ne font plus repères, s'opère une montée d’angoisse suivie d'une phase de dépersonnalisation pour s'en protéger. Du corps à l’esprit, on en vient à des pensées parasites d’anxiété, et/ou un déroulement de la pensée dans des liens d’idées instantanées passant du coq à l’âne, qui entrainent l’esprit dans des ailleurs en quelques secondes.​
 
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